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La longue marche des épiceries coopératives
Article mis en ligne le 1er juillet 2020
dernière modification le 30 juin 2020

Le succès actuel de supermarchés coopératifs et participatifs marque une nouvelle étape dans une histoire complexe, hésitante, faite d’accélérations et de ralentissements. La forme des coopératives s’est transformée de même que les aspirations des coopérateurs qui sont passées de préoccupation strictement économique à la prise en compte d’enjeux sociaux et environnementaux plus vastes.

L’origine des coopératives de consommateurs

Une coopérative est une entreprise dont tous les membres participent au capital de la structure, à sa gestion et ont une voix égale dans les décisions. La richesse crée est partagée entre tous les membres[1].

Selon l’Alliance Internationale Coopérative, les équitables pionniers de Rochdale, coopérative de consommateurs née en 1844 est la première coopérative à avoir formalisé les principes du mouvement coopératif actuel (voir ici pour le détail de ces principes). Mais cette filiation est contestable. Ces valeurs et principes furent portés par des organisations plus anciennes qui ne les ont pas toujours formalisés.

Par exemple, des collectifs comme les associations fruitières du Jura au XIIIe siècle ou la société des tisserands de Fenwick en 1761 mettent déjà en place certaines pratiques anticipant le coopérativisme en organisant des achats groupés, une gestion commune et une égale participation au risque de l’entreprise.

En France, les premières expériences véritablement coopératives sont des « associations ouvrières de production » largement inspirées par la pensée de Philippe Buchez qui crée la première association de menuisiers en 1831. Ces coopératives subissent tout d’abord un cadre législatif et politique extrêmement défavorable. (...)

Les premières associations ne sont ainsi pas légales, mais simplement tolérées par les autorités de l’époque avant d’être dissoutes selon les changements de gouvernements et de régime. Après le coup d’État du 2 décembre 1851, la plupart des associations de travailleurs sont dissoutes, car accusées d’être des foyers pro-républicains. Rien qu’à Paris, plus de 200 associations de travailleurs sont ainsi démantelées. (...)

D’un point de vue juridique, en France, le statut de coopérative n’existe d’ailleurs pas formellement avant 1947 !

C’est dans ce contexte, en 1835, près d’une décennie avant la création de la coopérative de Rochdale, qu’une épicerie coopérative voit le jour à Lyon, sous l’impulsion de Michel Derrion. Si cette enseigne ne dura que trois ans, elle est aujourd’hui considérée comme la première épicerie coopérative de l’histoire contemporaine. (...)

L’enseigne est toujours bénéficiaire en 1837 et ouvre progressivement jusqu’à sept nouvelles boutiques, mais une crise économique particulièrement sévère sévit à Lyon mettant à mal les commerces et entraînant la cessation de l’activité du Commerce Véridique et Social en 1838. Derrion, ruiné ne retentera pas l’expérience, mais, toujours utopiste, il part pour le Brésil afin de bâtir un phalanstère, une communauté de vie et de travail imaginée par Charles Fourier.

Après cette première expérience, les coopératives de consommation se diffuseront progressivement dans le pays, à l’instar de l’Avenir de Plaisance en 1873, la Moissonneuse en 1874, ou de la Bellevilloise en 1878 à Paris. Dans le sud de la France, un mouvement coopératif se structure autour du courant de pensée de l’école de Nîmes. (...)

Le renouveau du coopérativisme au 20e siècle

Une seconde vague de coopérative de consommation émerge en dehors de la France, aux États-Unis, dans les années 1930 grâce aux aides financières du New Deal de Roosevelt. (...)

Dans les années 1960 émerge une nouvelle vague de coopératives, qualifiées de « New Wave Food Coops ». Deux grandes transformations marquent ce renouveau. D’une part, au-delà de la lutte des classes de nouveaux sujets préoccupent les consommateurs (Droits civiques aux États-Unis, seconde vague féministe, mouvement antinucléaire…). Pour les supermarchés coopératifs, cela signifie que le prix n’est plus l’unique enjeu, mais que des questions comme le végétarianisme, le refus des intrants de synthèse ou la vente de produits en vrac deviennent des marqueurs identitaires forts. Le projet politique associé aux coopératives alimentaires se transforme. Il ne s’agit plus uniquement d’accéder à des produits moins chers, mais aussi d’agir face à des enjeux sociétaux et environnementaux qui gagnent en visibilité.

D’autre part, c’est à cette époque qu’émerge une innovation organisationnelle : le recours au travail des membres eux-mêmes. (...)

En réduisant les coûts de fonctionnement, l’objectif est également de proposer directement des prix plus bas plutôt qu’une participation annuelle aux bénéfices.

Ainsi, au tournant des années 1960, l’alimentation devient un sujet politique dont s’emparent les citoyens. Grâce aux nouvelles coopératives participatives, ils peuvent devenir acteurs des choix alimentaires : refus des OGM, promotion d’une alimentation végétarienne, réduction des déchets et recours aux produits en vrac, etc. Le fait de travailler eux-mêmes dans leurs coopératives leur permet d’obtenir des prix réduits. (...)

Les supermarchés coopératifs et participatifs aujourd’hui

Aujourd’hui, résultat de cette histoire, des formes diverses de coopératives de consommation co-existent. Si toutes mobilisent le terme de « coopératives », cela renvoie à des réalités organisationnelles bien différentes. Des coopératives de consommation continuent de fonctionner sur le modèle dit de « Rochdale » de distribution annuelle d’une partie des bénéfices aux membres coopérateurs. C’est le cas par exemple des Nouveaux Robinsons en Île-de-France. D’autres magasins, comme le réseau Biocoop où les magasins U, sont des structures où ce sont les directeurs de magasins (et non pas les consommateurs ou les employés) qui sont coopérateurs du réseau et s’en partagent la gestion et la gouvernance[3].

Enfin, depuis les années 2010, des coopératives participatives, où les membres travaillent directement dans le magasin émergent également en France. De multiples sources journalistiques montrent qu’en France comme aux USA il y a un rebond des coopératives depuis 2008 (...)

À ce titre, la Louve est, en France, l’une des organisations phares de ce renouveau, notamment en important sur le continent européen le modèle participatif né aux États-Unis dans les années 1970. Selon des décomptes informels, près de 80 projets seraient lancés ou en développement sur tout le territoire français.

Dans ces projets, ce sont bien les consommateurs eux-mêmes qui s’associent à la gestion et au travail dans ces supermarchés. Ceux-ci fonctionnent sur un modèle exclusif : seuls les coopérateurs membres peuvent faire leurs courses et bénéficier des prix avantageux de la coopérative. En échange, ils s’engagent à y travailler sur un créneau régulier (en général 3 heures par mois) afin d’assurer le fonctionnement du magasin. Ce système exclusif assure l’engagement de tous et sécurise des prix abordables sur des produits choisis par les membres pour leurs qualités (gustative, environnementale, locale, etc.). Ce développement récent montre la volonté des citoyens de s’emparer des enjeux alimentaires et de repolitiser leur consommation afin de transformer localement leur communauté.

Mais nous voyons que ce développement récent ne peut être déconnecté d’une longue histoire. En effet, un travail rétrospectif nous permet de mieux saisir un double mouvement des coopératives de consommation. Tout d’abord, nous voyons comment leur projet de justice économique a évolué pour englober désormais les enjeux multiples autour de l’alimentation dont le marché ne s’occupe pas (qualités gustative, humaine, sociale et environnementale des produits). Nous voyons également que la mise en place de nouvelles organisations capables de contester l’ordre établi ne se fait pas sans conflit. La reconnaissance par l’État, par le droit et par l’ensemble des parties prenantes (fournisseurs, clients…) des coopératives comme étant des acteurs légitimes a mis plus d’un siècle.