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La monnaie est indispensable au développement économique
Jean-Marie Harribey ancien coprésident d’Attac et du Conseil scientifique d’Attac France. Il a récemment publié Le trou noir du capitalisme (Éd. Le Bord de l’eau, 2020)
Article mis en ligne le 27 décembre 2020
dernière modification le 26 décembre 2020

Lorsque la crise financière de 2007 a éclaté, on a vu déferler sur Internet des thèses complotistes arguant que la monnaie engendrée par les banques était la cause de la fuite en avant productiviste et qu’il fallait donc mettre un terme à la « monnaie dette », à cette monnaie créée « ex nihilo ». C’est le nec plus ultra de l’ignorance totale de ce qu’est le capitalisme et, plus largement, d’une « économie monétaire de production », selon l’expression de Keynes.

Il faut reconnaître qu’il y a là un point de théorie qui a mis longtemps à être analysé correctement. Le premier à avoir eu l’intuition que la création de monnaie était indispensable à l’accumulation du capital, c’est Marx, balayant ainsi la thèse de l’économie politique classique qui excluait la monnaie de son analyse, en la considérant comme neutre au regard de la production. Au contraire, Marx expliquait qu’un supplément de monnaie était nécessaire pour réaliser monétairement la plus-value prélevée sur la valeur économique qu’ajoute la force de travail. À son époque, le crédit bancaire existait, mais était loin d’être aussi développé qu’aujourd’hui. Rosa Luxemburg fit un pas de plus dans la même direction en prenant vraiment en compte le crédit. Et, avec Schumpeter, Keynes et Kalecki, il fut définitivement démontré que la croissance de la production (capitaliste ou non) exigeait une augmentation de la masse monétaire. Dit simplement, on ne pourrait pas transformer en monnaie un surplus de production ou un surplus approprié par la classe dominante sans anticipation monétaire de ces surplus (...)

De cette nécessité découle celle de la maîtrise collective de la politique monétaire, et donc de la création de monnaie en vue de l’intérêt général. Dès lors, le caractère de « prêteur en dernier ressort » de la banque centrale peut-il être réservé au seul refinancement des banques ordinaires ?

Cet enjeu est d’autant plus important que se pose aujourd’hui le problème du financement de la transition écologique. Sur ce sujet très actuel on dispose de plusieurs propositions parfois différentes mais aussi assez complémentaires . [2]

Leurs points communs sont le conditionnement du crédit à des contraintes sociales et écologiques ainsi que de son refinancement par la banque centrale, et la garantie des dettes publiques subsistantes par cette dernière. Cela signifierait un abandon de ladite neutralité monétaire [3] , notamment au regard des engagements pris dans l’Accord de Paris (2015). Cet abandon se traduirait alors par un engagement actif de la banque centrale en faveur de la transition écologique.

Ainsi, conférer à la banque centrale le droit de conditionner son refinancement et celui de financer directement les dépenses publiques d’investissement donnerait, dans une phase de transition, la possibilité de combiner trois sources possibles de financement : les impôts, les emprunts et la monétisation des dépenses publiques par la banque centrale. Puisque la transition écologique nécessitera un flux d’investissement régulier (estimé à 100 milliards d’euros par an jusqu’en 2050 pour la France, et à environ 400 milliards par an pour l’Union européenne), la monétisation serait un précieux apport pour parer les risques socio-écologiques majeurs du long terme, tout en préservant l’équilibre des finances publiques et en évitant une trop forte dépendance à l’égard des marchés financiers dans le futur.

Une telle stratégie de « financement monétaire » de l’État est-elle saugrenue ? Elle ne l’est pas plus que la pratique du « circuit du Trésor » en vigueur en France dans toute la période d’après-guerre, jusqu’à ce que la vague néolibérale y mette un terme. Les opposants au financement direct de l’État par la banque centrale font valoir qu’il ne coûte aujourd’hui rien ou presque aux États européens d’emprunter sur les marchés financiers, au vu des taux d’intérêt quasiment nuls. Mais cette situation est-elle durable ? La dette publique est actuellement soutenable en termes de charges d’intérêt, le niveau de la dette et son rapport au PIB n’importent pas dans l’instant, mais, un jour ou l’autre, ces taux ne remonteront-ils pas, ne serait-ce que parce que les banques centrales considéreraient que le danger d’éclatement de la bulle financière est trop grand, ou bien parce qu’un gouvernement trop à gauche voudrait améliorer les droits à la retraite ou simplement augmenter les bas salaires et imposer les riches ? Alors, la soumission des États aux marchés financiers reprendrait son cours. (...)

Le principal enseignement des tensions entre les pays membres de l’Union européenne au sujet de la mise en œuvre du plan de relance de l’économie européenne et de son articulation avec la politique de soutien monétaire de la BCE concerne la mise en cohérence de cette dernière avec une politique budgétaire des États sortie de son carcan austéritaire gravé dans les traités européens (...)