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La mort du jeune Malien Denko Sissoko libère la parole des mineurs étrangers sur leurs conditions de vie
Article mis en ligne le 19 janvier 2017
dernière modification le 18 janvier 2017

Vendredi 6 janvier, Denko Sissoko, jeune Malien arrivé en France en octobre, a sauté par la fenêtre du 8e étage de son foyer à Châlons-en-Champagne (Marne). Raisons personnelles ou peur que la police vienne pour l’expulser ? Le drame met en lumière les conditions d’accueil des mineurs isolés étrangers. Reportage.

(...) Il occupait, depuis le 22 novembre, l’une des 73 chambres pour mineurs isolés mises à disposition par le Service d’Accueil des Mineurs Isolés Étrangers (SAMIE) du département de la Marne et gérées par l’Association Châlonnaise des Foyers d’Accueil (ACFA).

Selon le procureur de la République, le jeune homme se serait suicidé. De leurs côtés, les associations laissent entendre que le réfugié aurait sauté sous la pression d’un équipage de police venu le chercher pour l’expulser parce que son statut de mineur n’aurait pas été reconnu. Après avoir fui le Mali, Denko Sissoko est passé par la Libye et l’Italie, où il était resté un an et demi, avant d’avoir assez d’argent pour venir en France. “Il ne venait pas de la jungle de Calais. Il s’était présenté spontanément au commissariat de Reims le 3 novembre dernier”, précise le procureur. Il disait avoir 16 ans. Selon la préfecture de la Marne, le jeune Malien n’était pas encore connu des services préfectoraux car il n’était qu’au début de ses démarches administratives (...)

Cinq jours après le drame, plus de 200 personnes, camarades de Denko Sissoko, militants et anonymes, ont défilé sous la pluie et le ciel gris de Châlons-en-Champagne en hommage au jeune migrant. Ce sont les amis du foyer de Denko qui sont à l’origine de cette marche. Parmi les pancartes, on pouvait lire sur certaines “Justice pour Sissoko” ou encore “Pour un meilleur accueil des mineurs isolés”.

En tête du cortège, ses amis réclament justice. “Sissoko était joyeux, il aimait rire, il écoutait tout le temps de la musique africaine ! On le taquinait sur ça. Il n’avait pas l’air triste. Je n’arrive pas à croire que c’est un suicide”, avance Abdoul*, mineur ivoirien, rose blanche à la main. Mohammed, réfugié guinéen arrivé en France il y a 2 mois, remet lui aussi en cause la thèse officielle du suicide. “Il y a des bruits qui courent. On nous dit que la police vient au foyer pour nous menotter et nous expulser. Alors tout le monde craint la police”, relate-t-il. (...)

Les versions se contredisent. Le parquet de Châlons-en-Champagne a catégoriquement réfuté l’hypothèse de la présence d’une patrouille de police au moment des faits : “Aucun élément n’a montré que des policiers seraient intervenus auprès de ce jeune” le jour du drame. “Le conseil départemental avait des doutes sur sa minorité, une procédure de vérification de ses papiers était en cours mais l’adolescent n’était concerné par aucune procédure administrative ou pénale”, affirme Isabelle Debailleul, directrice de la solidarité départementale au conseil départemental de la Marne.

Marie-Pierre Barrière, membre de l’antenne de Châlons-en-Champagne du Réseau Éducation sans Frontières (RESF), qui encadrait la marche blanche, associe la mort du jeune homme à sa peur d’être expulsé de France. Selon elle, ce geste est la conséquence des “ravages mortels d’une politique migratoire inhumaine. (…) “Ces jeunes sont mal accueillis. Ils sont maintenus dans une situation de torture psychologique qui dure parfois des mois, en attendant de connaître leur sort”.

15 jours avant la mort de Denko Sissoko, “j’ai aussi sauté de la fenêtre de ma chambre”

Ça n’est pourtant pas la première fois qu’un jeune du foyer se défenestre (...)

Planté au milieu de plusieurs barres d’immeuble, le bâtiment de 9 étages n’est pas visible immédiatement, caché par une médiathèque flambant neuf (mais déserte) et quelques grues dont le bruit sans discontinu donne le tournis. Il accueille 73 mineurs isolés étrangers (MIE) mais aussi “des cas sociaux, des personnes âgées qui ont des problèmes avec l’alcool et des toxicos”, décrit Bari, jeune Guinéen résidant au foyer depuis novembre dernier. Yamoudou*, lui, raconte que chaque nuit ou presque, son voisin, un homme d’une cinquantaine d’années, réveille tout le couloir à cause de ses hurlements et de ses coups de sang. “Il a des problèmes psychologiques, il me fait peur et je n’arrive pas à dormir”, rapporte le mineur ivoirien.
(...)

Comment expliquer qu’une cohabitation entre mineurs isolés et adultes en grande précarité soit possible ? “Il a fallu prendre en charge ces jeunes très rapidement dont le nombre ne fait que grossir contrairement à nos moyens, se défend Isabelle Debailleul, au conseil départemental de la Marne. C’est mieux que de les accueillir à l’hôtel où il n’y aurait pas eu d’accompagnement éducatif et où ils auraient partagé une chambre à deux”. Au foyer Bellevue, l’accompagnement éducatif est assuré par 5 éducateurs pour 73 mineurs. Le conseil départemental accorde chaque année 3 millions d’euros aux mineurs isolés étrangers. “C’est 3 millions d’euros de dépenses en moins sur d’autres services”, souligne Isabelle Debailleul.

Aucun élu du conseil départemental ni Benoist Apparu, maire Les Républicains de Châlons-en-Champagne, ni même la direction du foyer, n’ont participé à la marche qui s’est terminée par une minute de silence marquée par les sanglots des amis de la victime.

Aucune sécurité et pas d’accès aux soins ni à l’éducation (...)

Les éducateurs nous coupent Internet à 18h parce que c’est l’heure à laquelle se termine leur journée”, souligne un jeune. Ils sont présents de 9 à 18 heures en semaine, et le samedi, de 10 à 18 heures. Le dimanche, il n’y a personne, et le soir non plus. Les caméras dans le hall ? “On n’est même pas sûrs qu’elles soient fonctionnelles”, souffle un locataire. Tout le monde peut entrer comme il veut, le gardien n’est jamais là et personne ne surveille”. Les jeunes se sont alors organisés entre eux. “On ne dort pas la nuit, on veille, on fait des rondes chaque nuit et on dort la journée pour passer le temps, comme il n’y a rien à faire”, relate un mineur, les traits tirés et le dos voûté.

Quand un jeune tombe malade, il n’a pas un accès direct aux soins. Certains ont des maladies mais ne sont pris en charge, expliquent les jeunes. (...)

Sans scolarisation, sans formation professionnelle, sans accès aux soins, les mineurs isolés sont livrés à eux-mêmes. “Un scandale” pour Btissam Boucharaa, éducatrice spécialisée au sein de l’association de Sauvegarde de la Marne, à Reims. “La structure de l’Aide sociale à l’Enfance dans laquelle je travaille est composée de 6 éducateurs -pour une dizaine de jeunes-, de deux veilleurs, d’un psychologue et d’une maîtresse de maison, témoigne-t-elle. Elle a visité le foyer Bellevue le soir du 2 décembre après avoir eu quelques retours sur les conditions d’hébergement des jeunes. “J’ai été choquée de constater qu’ils étaient tout seuls. Le lendemain, on ne leur a même pas offert de dîner ou de cadeaux à l’occasion de Noël. (…) Il est interdit de laisser les mineurs seuls, ils ont interdiction de sortir après 19 heures”, rappelle-t-elle. Elle a interpellé l’Aide sociale à l’enfance, en vain. Selon elle, le département sous-traite un maximum à l’association afin de “dépenser un minimum d’argent pour les mineurs isolés étrangers”. (...)

Après le décès de leur ami, les jeunes du foyer Bellevue ont adressé une lettre (à lire ci-dessous) à Manon Doublet, chargée de mission en charge des MIE au conseil départemental, dans laquelle ils dénoncent tous les dysfonctionnements du foyer et le traitement qu’il leur est accordé. “A notre arrivée ici, nous ne connaissions personne, nulle part. Nous avons quitté notre pays pour une vie meilleure en Europe. Nous étions prêts à réussir notre vie ici mais nous avons l’impression que tout se retourne contre nous. (…) Nous voulons dénoncer le système que vous employez avec les mineurs étrangers : vous nous gardez pendant 3, 4, 5, 6, 7, 8 mois sans rien nous dire. Nous sommes comme des animaux. (…) Madame Doublet, aujourd’hui nous nous adressons à vous avec nos demandes et nous voulons des réponses. (…) Pour nous, c’est une façon de ne pas laisser mourir Denko Sissoko pour rien”. Ils n’ont, à ce jour, reçu aucune réponse.