

LE COVID, L’ÉCOLOGIE
ET LA GUERRE
par Michel Rogalski, Directeur de la revue Recherches Internationales
On se souvient encore à peine des commentaires qui avaient
accompagné la crise du Covid-19. Peut-être en est-il mieux
ainsi tant le sottisier serait rétrospectivement accablant ?
Du « je vous l’avais bien dit ; il aurait fallu m’écouter » jusqu’à « rien ne
sera plus comme avant ; maintenant voici ce qu’il faut faire ; il faut penser
l’après », on aura tout entendu. Bref puisque mon analyse était bonne
mon programme ne peut qu’être parfait. Du côté des dirigeants une
petite musique se développait à bas bruit : « on va surmonter l’épisode
et d’un mal on va faire naître un bien. » Propos lénifiants chargés de
dissimuler la panique rampante qui gagnait les milieux informés qui,
sidérés par le présent, tentaient de vendre un monde nouveau plus
résilient voire plus attrayant.
Parenthèse ou rupture ?
Ainsi s’affrontaient les tenants de la parenthèse à ceux de la
rupture ou à ceux inquiets des effets de cliquet irréversibles en matière
de contrôle de population. Les premiers arguant que les inerties et
les habitudes reprendraient bien vite le dessus. Et annonçaient le
comme avant, le plus qu’avant et au plus vite. Le retour des activités,
à commencer par celles symboliques des compagnies aériennes, leur
donna en partie raison et les « queues » de Covid n’entamèrent pas
la tendance. Bref, pour l’essentiel la vie continua comme avant avec
peut-être un désir d’en profiter plus.
Ceux qui ont vécu l’événement comme la grande rupture
riche de toutes les coupures avec le passé et lourde d’espoirs
de changement, et prêts à sortir de leurs dossiers programmes
clés en mains seront restés pour l’essentiel sur leur faim tant les
espoirs étaient grandioses. L’ancien est mort, vive le nouveau : sur
ce constat il fallait imaginer un monde plus résilient, comprendre
que les difficultés rencontrées dans la gestion internationale
de la crise sanitaire allaient servir de leçon pour faire avancer la
cause climatique et que ses experts seraient plus écoutés, il fallait
imaginer que la pandémie n’était qu’un révélateur d’une rupture
incontournable à portée de mains. Le « rien ne sera plus comme avant »
n’a malheureusement pas porté ses fruits. Certains « catastrophistes »
n’ont pas craint d’annoncer : « le coronavirus est une aubaine pour la
planète, car, quand les Hommes souffrent, la planète souffle. », d’autres
– les « décroissants » – que « la planète a besoin de marquer une
pause ». Les acteurs du tissu économique et social et ceux qui ont
pu bénéficier du « quoi qu’il en coûte » apprécieront. Leur faiblesse
est de n’avoir pas su entrevoir qu’il n’y avait pas que les écologistes
pour y voir une occasion formidable d’avancer leur programme
d’atterrissage. Reste, ce qui ne doit pas être tenu pour négligeable,
le rapport au travail et à ses formes qui a été fortement interpellé
par la crise sanitaire et dont le débat est appelé à se poursuivre, à
commencer par influencer celui sur la réforme des retraites.
Populations sous surveillance
Mais ce qui doit être noté avec attention ce sont les traces
laissées – et gravées dans le marbre – dans le domaine sécuritaire
et d’une façon générale dans la maîtrise de la gestion du contrôle
des populations. Dès le début, les images relayées de la Chine
semblaient correspondre à une répétition générale d’un état de
siège ou évocatrice d’un lendemain de coup d’État ou de manoeuvres
militaires. Très vite se sont répandues à l’ensemble du monde des
mesures qui – sans être aussi draconiennes – ont généralisé la lente
évolution déjà amorcée vers une société de surveillance et surtout son
acceptation cette fois-ci au nom d’impératifs sanitaires. La population
a accédé au statut de suspecte a priori pour laquelle tous les moyens
de contrôle déployés par l’usage de la technologie du numérique
et de l’intelligence artificielle sont devenus un procédé acceptable,
sinon légitime. Bref, tous terroristes ! Puisque les méthodes utilisées
pour combattre ceux ainsi désignés sont désormais employables
à l’encontre de l’ensemble d’une population et souvent à son insu.
Comme toujours dans ce domaine les mesures d’exception ont
tendance, comme un effet de cliquet, à s’installer durablement dans
l’arsenal juridique. Celui adopté par l’Italie dans les années 1970 est
toujours en place – prêt à resservir, si nécessaire. Les réticences et
inquiétudes ont gagné jusqu’aux plus hauts sommets des Nations
unies puisqu’elles ont amené son secrétaire général, Antonio
Guterrès, à intervenir très tôt en 2021 devant le Conseil des Droits
de l’Homme en affirmant : « Brandissant la pandémie comme prétexte,
les autorités de sécurité de certains pays ont pris des mesures sévères et
adopté des mesures d’urgence pour réprimer les voix dissonantes, abolir
les libertés les plus fondamentales, faire taire les médias indépendants,
et entraver le travail des organisations non gouvernementales. […] Les
restrictions liées à la pandémie servent d’excuse pour miner les processus
électoraux, affaiblir les voix des opposants et réprimer les critiques. » Tout
était déjà dit ! Il n’y a plus de limites à la surveillance qu’ils ont réussi
à instaurer. Dans son dernier roman Le Sage du Kremlin, Giuliano da
Empoli, évoquant les maîtres du développement des techniques
numériques affirme : « Grâce à eux, tout moment de notre existence
est devenu une source d’informations. »
Guerre, écologie et climat
Une petite musique chemine à bas bruit dans certains milieux
écologistes laissant entendre que tout compte fait la guerre russoukrainienne
pourrait être salutaire pour le climat. Toujours cette idée
que du pire, de la crise pourrait surgir le meilleur.
Le raisonnement proposé est tout à la fois simple et
désarmant. L’Union européenne, dès l’invasion de l’Ukraine par la
Russie, comprend qu’elle va être profondément impactée par son
extrême dépendance aux importations énergétiques d’origine
fossiles, principalement le gaz, le pétrole et le diesel. Dès le mois
de mai 2022 elle élabore dans l’urgence un plan – REPowerEU –
dans le but tout à la fois de réduire sa dépendance vis-à-vis de ces
combustibles et d’accélérer la transition énergétique en mettant au
coeur de sa démarche les thèmes de la sobriété et de l’austérité. La
désignation de l’ennemi russe ajoutant à l’approche une dimension
patriotique et guerrière. Il s’agit tout à la fois de faire progresser des
avancées climatiques et d’affaiblir le budget de guerre russe. La
sobriété énergétique deviendrait ainsi une condition pour gagner
la guerre. On vit même fleurir, à l’initiative du groupe des Verts/ALE
du Parlement européen, une campagne « Soyons solidaires avec
l’Ukraine » s’appuyant sur des affiches accompagnées de slogans
« Isolons Poutine, isolons les maisons » ou « Plus de soleil, plus de vent,
plus de paix ».
Sauf que rien ne se passe comme prévu. On assiste plutôt à
une ruée vers le gaz ou à la remise en service d’anciennes mines
de charbon. On voit se mettre en place de nouvelles stratégies
d’approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL), d’acheminement
plus souple à travers des bateaux, plus cher, bien plus coûteux
pour l’environnement, souvent issu des gaz de schiste extraits par
fracturation et créant une nouvelle dépendance, cette fois-ci aux
États-Unis ou aux autres exportateurs d’hydrocarbures. On est bien
loin de l’allégation d’une recherche de transition bas-carbone qu’on
risque même de faire dérailler. Rien donc de propice à une diplomatie
de coopération. Faudrait-il associer à la notion bien nécessaire de
planification écologiste celle de planification de guerre ? Une telle
confusion est riche de dangers. Finalement grâce à Poutine et à sa
guerre une opportunité surgirait pour convaincre patronat et finance
de s’engager dans une écologie de guerre salvatrice de nature à
se transformer en arme économique pour affaiblir le potentiel
militaire de l’ennemi. Pari tout à la fois risqué et lourd de dérives
austéritaires. On comprend mieux les difficultés que rencontre
le bloc « occidental » à mettre de son côté la plupart des pays du
Sud qui soucieux avant tout de leur développement rechignent à
s’aligner sur de telles postures. La guerre ne peut être l’occasion
d’une opportunité pour l’écologie. Cette posture est d’autant plus
étonnante qu’elle s’écarte des dernières préoccupations du GIEC
qui, après des années, commence enfin à prendre en considération
l’impact des activités guerrières sur l’état du climat.