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Le Monde Diplomatique
La paix par la force ou par le droit ?
Les Nations unies face au conservatisme des grandes puissances
Article mis en ligne le 28 décembre 2015
dernière modification le 22 décembre 2015

Souvent, l’enfer guerrier est pavé de bonnes intentions pacifiques. La nouveauté réside aujourd’hui dans une certaine banalisation du recours à la force et dans l’installation de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) comme bras armé d’un ordre mondial dicté par les Occidentaux. L’intervention au Kosovo en 1999, décidée sans l’autorisation du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), prépara la mue de l’OTAN, habillage humanitaire en prime. Le 23 septembre 2008, dans une déclaration commune d’abord tenue secrète, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon et le secrétaire général de l’OTAN Jaap de Hoop Scheffer formalisaient cette dérive de l’architecture onusienne de la sécurité, que l’intervention de l’Alliance atlantique en Libye en 2011 a confirmée.

Pourtant, la Charte des Nations unies, signée le 26 juin 1945 à San Francisco et conçue en opposition à la guerre, fait obligation aux Etats de recourir au règlement pacifique des différends. Son préambule l’annonce clairement : « Nous, peuples des Nations unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances... »

L’article 2.3 stipule en conséquence que « les membres de l’organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationale ainsi que la justice ne soient pas mises en danger ». Ce principe cardinal s’assortit de moyens : « Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation, d’arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix » (article 33 du chapitre VI).

Contrairement à une idée reçue, cette méthode a rencontré un certain succès. (...)

Pourtant, les échecs du règlement pacifique des différends sont patents. Les espoirs nés de la fin de la guerre froide n’ont guère eu de suite. En 2000, la commission présidée par M. Lakhdar Brahimi évaluait à plus de cinq millions les victimes des conflits des dix dernières années. Les guerres en ex-Yougoslavie et en Irak ont été les laboratoires privilégiés d’un démantèlement du droit international public (...)

Les affrontements par groupes locaux interposés en Ukraine, en Syrie ou au Yémen constituent des exemples récents de ces « guerres par procuration » qui, durant la guerre froide, eurent cours en Corée, au Vietnam, en Angola, au Nicaragua et ailleurs. Plus grave apparaît encore la « légitime défense préventive », cet abus de droit avancé par M. George W. Bush en Irak, lorsqu’il invoqua fallacieusement l’article 51 de la Charte. (...)

Après les traumatismes engendrés par l’inaction internationale à Srebrenica, en Bosnie, en 1995 et lors du génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, le concept de « responsabilité de protéger » a été institué en 2005, au sommet mondial de l’ONU. C’est l’aboutissement de longs efforts des partisans du « droit d’ingérence », qui ont commencé par s’affranchir des frontières pour porter secours aux populations avant de cautionner, au nom de la raison humanitaire, des interventions militaires.

A bien des égards, nous nous éloignons des ambitions de la Charte. Le recours à la force, justifié par une éthique instrumentalisée, s’accompagne de la multiplication et de l’imbrication des causes de conflit. (...)

Sur le plan économique, les privatisations exacerbent les pillages militarisés, les conflits sociaux, les guerres locales. Affirmé par l’Assemblée générale de l’ONU le 4 décembre 1986, le droit au développement est délaissé au profit d’une « lutte contre la pauvreté » aussi minimaliste que problématique. Or guerre et « maldéveloppement » sont liés. Les puissances économiques et technoscientifiques contournent les obligations de la Charte par l’intervention du Fonds monétaire international (FMI) ou de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), au point que le chercheur Alain Joxe parle de « souveraineté des entreprises (6) ».

Quant à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), qui porta les espoirs des pays en développement dans les années 1960 et 1970, elle se retrouve marginalisée (7). Le droit international privé et les accommodements entre marchands (8) tendent à détrôner le droit international public, comme l’illustre le rôle croissant des tribunaux arbitraux commerciaux, qui se substituent aux instances judiciaires publiques (...)

"McDonald’s ne peut pas fonctionner sans McDonnell Douglas, qui construit les F-15. Et le poing caché qui rend le monde sûr pour les technologies de la Silicon Valley s’appelle l’armée, la force aérienne, la force navale et les marines des Etats-Unis (10). » Est-il interdit de réfléchir à des visions du monde différentes, centrées sur le couple paix-développement ?