Lors du troisième Forum de la Coopération Chine-Afrique fin 2018, le président chinois Xi Jinping a annoncé que la Chine débloquerait dans les prochaines années un total de 60 milliards de dollars pour le continent africain sous forme de prêts, fonds spéciaux, niches fiscales et projets d’infrastructures
Cela va se rajouter aux 60 milliards déjà investis dans le projet des Nouvelles routes de la soie (en anglais Belt and Road Initiative (BRI), anciennement One Belt one Road), un projet pharaonique, commencé en 2013 par le nouveau dirigeant chinois, représentant la principale matrice de la politique étrangère et qui comprend un plan de transports et services terrestres (« ceinture ») et maritimes (« route »), accompagnés par une myriade de projets d’infrastructures s’étendant du Sud-Est asiatique à l’Europe et à l’Afrique en passant par l’Asie centrale et du Sud. On parle déjà de 1 674 projets qui incluent la construction de nouvelles voies ferrées, routes, autoroutes, centrales nucléaires et centrales au charbon, la modernisation des ports de Djibouti, Tripoli (Liban), Port Saïd (Égypte), Lagos (Nigeria), etc.
L’expansion économique de la Chine sur les marchés étrangers ne se limite donc pas aux pays de l’Asie.
Un système complexe d’accords, memoranda, projets, crédits, (...)
d’exportations et négociations entre Chine et Afrique s’est établi depuis des décennies. La Chine a des relations diplomatiques avec les pays africains depuis leurs indépendances. Cette première phase était précisément basée sur le soutien de la Chine aux luttes pour les indépendances nationales des peuples africains. Puis, en même temps que le régime chinois s’intégrait au système capitaliste et que le monde bipolaire de la guerre froide disparaissait, les relations commerciales prirent le pas sur les considérations idéologiques : aujourd’hui la Chine est en effet le premier partenaire commercial de l’Afrique.
Selon un rapport d’Eurodad et de Diakonia, ces relations économiques ont des conséquences contradictoires : « D’une part, la hausse des prix des produits de base a profité aux pays exportateurs africains mais, inversement, elle a des effets négatifs sur les pays qui dépendent des importations de ces mêmes produits, comme le pétrole. De même, les importations de produits manufacturés chinois ont, d’une part, fourni aux consommateurs à faible revenu en Afrique des alternatives beaucoup moins chères aux produits plus chers en provenance d’Europe par exemple. D’autre part, les données montrent que les importations en provenance de Chine ont déplacé les producteurs africains, ce qui a entraîné des pertes d’emplois. La Chine est également, dans une certaine mesure, en concurrence avec les pays africains sur les marchés des pays tiers avec des produits manufacturés bon marché (...)
Dans tous les cas, la politique d’assistance chinoise vis-à-vis du continent africain est exclusivement basée sur des projets de grande ampleur et semble se différencier de la politique traditionnelle de l’aide mise en place par les institutions de Bretton Woods et les autres créanciers occidentaux.
En effet, tous les pays africains bénéficient des prêts et de l’assistance chinoise sans condition préalable : l’aide chinoise est « with no political string attached », c’est-à-dire qu’elle n’est accompagnée d’aucune conditionnalité visant à mettre en œuvre des politiques économiques fixées par le créancier. (...)
La seule exception (de taille) est l’obligation pour ces pays de ne pas reconnaître l’île de Taïwan et sa politique [3]. Dans les discours officiels on parle de coopération « Sud-Sud » : le langage utilisé par la Chine est différent de celui des institutions financières internationales et des autres pays créanciers. (...)
Malheureusement, la réalité est loin de l’image construite dans les discours officiels puisque le fait d’être créancière met la Chine de facto dans une position de force par rapport à ces pays.
Sous couvert du principe de non-interférence dans les affaires intérieures des pays africains, la politique étrangère chinoise se rend complice de destructions sociales et environnementales dans les pays « partenaires ». En premier lieu, le gouvernement chinois – lui-même exerçant un pouvoir autoritaire sur sa population – ne se soucie jamais de l’autoritarisme déployé par les dirigeants africains avec lesquels il fait affaire. Il n’a ainsi eu aucun mal à financer des dictateurs au Soudan, en Angola, au Zimbabwe, renforçant ainsi ces régimes répressifs. (...)
En deuxième lieu, le respect des standards environnementaux et sociaux de certains projets ne figure nullement parmi les critères de « partenariat ». On l’a vu au Mozambique avec la déforestation massive de la forêt tropicale du Zambèze, au Nigeria avec la violente répression de la manifestation contre la pollution des eaux par l’entreprise chinoise Wempco en collusion avec les bureaucrates locaux et dans les soulèvements survenus en Zambie contre les mauvaises conditions de travail, les explosions minières et les accidents sur les sites de projets chinois (...)
Les conséquences de ces investissements se révèlent tragiques : au Cameroun, les compagnies chinoises d’extraction minière utilisent des machines qui forent jusqu’à 30 mètres de profondeur, forçant les habitants à abandonner leurs terres cultivées. (...)
De plus, les données sur l’assistance chinoise manquent de transparence. Le gouvernement chinois ne divulgue pas de rapport annuel relatif à l’aide au développement [6] au prétexte que, s’agissant de dons ou de prêts concessionnels, cette information est sensible pour les pays destinataires (à qui l’on devrait justifier pourquoi on a donné plus à un pays plutôt qu’à un autre) [7].
Enfin, la masse de nouveaux crédits qui partent de la Chine pour arriver en Afrique génère des affaires juteuses pour les entreprises chinoises, en particulier pour les entreprises de construction qui ont transformé l’Afrique en un chantier de voies ferrées, digues, stades, centres commerciaux, etc.
La contrepartie de tout cela est une contraction considérable de nouvelles dettes par les gouvernements africain (...)
Une autre conséquence est la cession de biens publics et la perte de souveraineté au bénéfice de la Chine : si un pays n’arrive pas à rembourser ses emprunts, il doit céder une partie de ses infrastructures et/ou de ses ressources publiques à la Chine. (...)
Tous les cas ne présentent pas les mêmes caractéristiques : la Chine a déjà procédé à des annulations de dettes des pays africains (en 2000, 2005, 2006, 2007) (...)
En revanche, ces annulations ne sont pas non plus une panacée absolue pour ces pays : elles ne représentent qu’une petite partie par rapport à la dette totale et elles sont guidées à la fois par des motivations politiques et économiques. Établir de bonnes relations diplomatiques avec ces pays et leur permettre de souffler de temps en temps (même si pour des sommes dérisoires) sert surtout les intérêts chinois. Cela permet à la Chine d’étendre son influence économique et politique sur le continent et d’avoir accès plus facilement aux énormes ressources naturelles du continent noir, essentielles pour son industrie.
De plus, tout comme les pays européens, la Chine utilise l’aide (ou une partie de cette dernière) pour l’annulation des dettes, ce qui veut dire qu’une partie des nouveaux prêts sert à rembourser (les discours officiels parlent d’annuler) des dettes précédentes.
Les critiques des créanciers « traditionnels » (institutions financières internationales et États « du Nord ») vis-à-vis de la politique de prêts de la Chine en Afrique sont hypocrites : sont pointés du doigt les intérêts spécifiques de la Chine en Afrique, le néo-colonialisme, l’incitation à la corruption, la vente de l’Afrique à la Chine... alors que les pratiques coloniales et néocoloniales des puissances « du Nord » sur le continent africain sont passées sous silence. (...)