
Comment protéger du suicide social et professionnel ceux qui osent sortir du rang lorsque l’intérêt général est menacé ? Au Mucem lors de la Nuit des Idées, le débat continue sous l’impulsion du collectif Marseille en commun.
Placardisés, inemployables et accablés de procès pour avoir refusé de fermer les yeux sur des pratiques illégales ou des menaces à l’intérêt général. Le constat est flagrant : le lancement d’une alerte semble avoir du chemin à parcourir pour se faire de manière apaisée. En France, une première pierre a cependant été posée après un long combat. Depuis décembre 2016, un statut juridique a été établi pour les lanceurs d’alerte par la loi Sapin II. Une avancée capitale selon Nicole-Marie Meyer, auteure d’un guide à l’usage des lanceurs d’alerte. Ex-fonctionnaire au sein du Quai d’Orsay, elle fut la première à remporter une bataille juridique contre l’État français après une longue traversée du désert pour avoir dénoncé, en interne, des pratiques pour le moins frauduleuses. Aujourd’hui responsable de l’alerte éthique pour l’ONG Transparency International, elle explique en quoi la France dispose de l’un des statuts le plus protecteurs au monde.
De l’application des textes
“C’est une chose d’avoir une bonne loi, une autre de protéger effectivement les lanceurs d’alerte”, considère quant à lui le magistrat Éric Alt et vice-président de l’association Anticor. “En France, nous avons de bonnes lois, mais nous n’avons pas d’institutions qui ont les moyens de les appliquer pleinement”, déplore-t-il. Pour pointer le décalage entre les textes et la réalité, le magistrat regrette le refus de la France d’accueillir le lanceur d’alerte américain, Edward Snowden, à l’origine de la révélation de l’espionnage pratiqué à grande échelle par la NSA : “c‘est un combattant de la liberté, et dans notre constitution, dans notre déclaration des droits de l’Homme de 1946, il est dit que la France doit accueillir et protéger les combattants de la liberté”. (...)
Constat d’impuissance
Autre domaine largement concerné par l’alerte : la science. En témoigne le scandale de l’amiante ou le parcours d’André Cicolella, chimiste et toxicologue à l’origine de l’interdiction du bisphénol A dans les plastiques pour biberons en Europe et dans tous les contenants alimentaires en France. Et tandis que la loi Blandin prévoyait la création d’une commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, cette mission a été supprimée par le texte de la loi Sapin II. (...)
S’il s’accorde sur la nécessite de protéger les lanceurs d’alerte, l’ex-salarié de Veolia Jean-Luc Touly confie qu’il n’aurait, à titre personnel, “jamais rien révélé à un médiateur”. Une question de confiance centrale dans les problématiques auxquelles se confrontent les lanceurs d’alerte. Pour ce militant engagé à dénoncer le manque d’éthique dans la gestion des ressources et dans la pratique de la politique, la logique serait de se tourner vers les journalistes pour bénéficier de la protection des sources. Un débat largement ouvert puisque la loi Sapin II organise des paliers de signalement : alerter d’abord en interne, via un supérieur hiérarchique ou le système de signalement obligatoirement mis en place dans la plupart des entreprises par cette même loi. (...)
Bataille pour une directive européenne
La protection des lanceurs d’alerte se joue également au niveau européen. Un dossier épineux pour la commission, qui démarre son mandat sur l’affaire d’optimisation fiscale Luxleaks révélant les accords secrets entre des multinationales et le grand-duché pour payer moins d’impôts. L’embarras est d’autant plus grand que le président de la commission, Jean-Claude Juncker, est mis en cause dans le scandale en tant qu’ex Premier ministre du Luxembourg. (...)