
Le système français de Sécurité sociale voit le jour au lendemain de la Seconde guerre mondiale avec la parution des ordonnances Laroque du 4 et du 19 octobre 19451. Meurtrie et dévastée par la guerre, humiliée par l’occupation allemande et par ses propres turpitudes vichystes, la France sut trouver chez une poignée de résistants la force d’ériger de la plus éclatante des manières son propre rétablissement moral. Le programme du Conseil National de la Résistance (CNR), également intitulé « Les Jours Heureux », reste à ce jour un acte d’héroïsme patriotique qui n’a d’égale que l’audace de son contenu tant sur le plan économique que social.
Ambroise Croizat et Pierre Laroque élaborent donc un plan complet de Sécurité sociale, à savoir un système « visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail avec gestion appartenant aux représentants des assurés et de l’État et une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ».
Tout travailleur exerçant une activité rémunérée donnant lieu à versement de cotisation sociale se voit affilié (ou rattaché) à un régime obligatoire de Sécurité sociale. Originellement Pierre Laroque avait souhaité mettre fin à l’émiettement de la Sécurité sociale entre une pluralité de régimes à base socioprofessionnelle. C’est en ce sens qu’est érigé le Régime général de Sécurité sociale qui, comme son nom l’indique, devait couvrir l’ensemble de la population française sans exclusive.
Malheureusement, cette ambition louable a fait long feu. (...)
Finalement, la loi du 22 mai 1946 limite le Régime « général » aux salariés de l’industrie et du commerce. En dépit de cette volte-face originelle, le Régime général constitue à ce jour le pilier central de la Sécurité sociale et génère plus de 70 % des montants financiers versés annuellement par la régimes de base de la Sécurité sociale. En outre, cette dispersion de la Sécurité sociale entre plusieurs régimes ne doit pas nous faire oublier que tous les régimes participent d’une seule et même logique ; celle d’une prise en charge collective et obligatoire des risques sociaux par des institutions du salaire socialisé, dépositaires de la cotisation sociale et garantissant un droit social inaliénable aux travailleurs. (...)
Le mouvement réformateur néo-libéral a engagé un triple mouvement d’étatisation, de privatisation et d’expropriation de la Sécurité sociale
Pour imposer le principe réformateur néo-libéral le Patronat s’est attaché à faire croire que la cotisation sociale serait un prélèvement social et non une partie socialisée du salaire. Pour ce faire, il a fallu imposer la fiction selon laquelle la nature juridique de la cotisation sociale serait duale au lieu d’en faire un bloc homogène de nature salariale : d’un côté la cotisation salariale, payée par le salarié pour ouvrir des droits sociaux, d’un autre côté la cotisation patronale présentée comme un prélèvement social à la charge des employeurs. C’est évidemment une fiction car la cotisation sociale doit être considérée comme une part indivisible et socialisée du salaire des travailleurs.
S’il est indéniable que la cotisation sociale est la condition d’une ouverture des droits à des prestations sociales, ce droit ne saurait s’entendre que de manière collective et non individuelle. Rappelons pour commencer que les droits sociaux sont ouverts dans un cadre familial : c’est le cas pour l’assurance maladie en particulier qui bénéficie à l’assuré social mais également à sa famille à charge. Mais surtout, le Régime Général de la Sécurité sociale créé par le CNR laissait supposer dans sa dénomination même l’idée d’une généralisation de la Sécurité sociale, y compris à des catégories de travailleurs qui ne cotisent pas faute d’emploi salarié. (...)
Concrètement, cette stratégie vise à transformer la branche famille de la Sécurité sociale en simple opérateur de redistribution à destination des familles les plus pauvres, à limiter les prestations d’assurance maladie au « gros risque » (soins très coûteux ou à destination d’assurés peu solvables) et à mettre en œuvre un continuum de prestations d’assistance à destination des exclus du monde du marché de l’emploi. Or, cette stratégie s’appuie sur deux ressorts :
Primo, la fiscalisation de la Sécurité sociale, autrement dit, le fait de substituer l’impôt à la cotisation sociale et de faire financer par les assurés eux-mêmes des prestations qui relevaient d’un financement salarial. La Contribution sociale généralisée (CSG), les allègements massifs de cotisations dites patronales, la contre-réforme régressive de la branche famille, et enfin le Pacte de responsabilité s’inscrivent évidemment dans cette logique, de telle sorte que la cotisation sociale ne représente plus guère que 59 % du financement de la Sécurité sociale et sûrement beaucoup moins demain. La fiscalisation de la Sécurité sociale vise à sortir les pans universels du champ du Droit social. Les conséquences sont considérables
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Les pans assurantiels de la Sécurité sociale inscrits dans le projet de contrôle social des travailleurs
Les pans dits assurantiels de la Sécurité sociale sont composés des prestations sociales dont le droit est lié à un acte de cotisation préalable. Ces prestations ont par ailleurs pour finalité de couvrir une perte de salaire et sont par nature intimement liés à l’exécution du contrat de travail. Nous y retrouvons en particulier les retraites, le chômage, les accidents du travail, et les indemnités journalières d’assurance maladie.
Dans ces domaines, le patronat souhaite limiter mais non supprimer la cotisation patronale car elle lui donne un extraordinaire levier politique pour instaurer un contrôle social intégral des travailleurs. L’objectif recherché par le patronat est d’assortir ces prestations sociales d’un objectif de soumission des travailleurs aux contraintes économiques de l’entreprise et de les faire participer de gré ou de force aux stratégies de placement financiers du capitalisme transnational.
Le Patronat entend en premier lieu contrôler de manière coercitive les situations d’inactivité des salariés qui nuisent au projet de maximisation des profits de l’entreprise. En second lieu le patronat entend imposer aux salariés leurs propres solutions d’assurance sociale afin d’orienter les salaires dans les stratégies de placement sur les marchés financiers.
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Le côté face de la domination patronale s’exerce dans le monde de la prévoyance d’entreprise. Le secteur des complémentaires santé d’entreprise et des Instituts de prévoyance (IP) qui vont bénéficier du jackpot de la généralisation des régimes complémentaires d’entreprise à partir de 2016, constituent, rappelons-le, un lieu de domination patronale univoque
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Construire le chemin de l’émancipation qui nous amène à un modèle politique alternatif au capitalisme
D’abord, il faut débattre du modèle politique alternatif6. Et à l’intérieur du modèle alternatif, il faut construire un projet ambitieux de protection sociale solidaire7 pour en débattre.
Car c’est bien à partir des fondements de la Sécurité sociale de 1945, ce « déjà-là » du vrai socialisme futur, dont de nombreux militants de l’Autre gauche n’ont toujours pas conscience d’ailleurs, que l’on peut construire la Sécurité sociale à caractère universel. La cotisation sociale peut porter en soi la dimension d’universalisation du salaire en garantissant à tous les citoyens le bénéfice politique des institutions du droit social qui leur permet de sortir du champ de l’assistance. Il faut continuer et dire qu’il faut augmenter la cotisation sociale mais dans un modèle politique alternatif et sanctuariser l’entièreté de la protection sociale sous le contrôle de la Sécurité sociale refondée, devenue alors une institution du droit social totalement indépendante des mécanismes des marchés et des pratiques d’assistance qui retrouverait alors ses principes de 1945.
Alors, n’hésitez pas à joindre le Réseau Éducation Populaire pour construire vos événements d’éducation populaire dans ce domaine comme dans tant d’autres.