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La stratégie de Mélenchon se discute
Article mis en ligne le 14 novembre 2018

En quelques semaines, la France Insoumise a accumulé des positions qui dessinent une nouvelle stratégie. Comment la comprendre  ? Analyses et discussion de ce nouveau moment Mélenchon.

La France Insoumise est-elle en train de changer de stratégie ? Quelle est cette nouvelle étape du mouvement de Jean-Luc Mélenchon  ? Quelle est sa cohérence  ? En quelques semaines, on a assisté aux réactions mémorables face aux perquisitions disproportionnées, aux attaques de Jean-Luc Mélenchon contre le « parti médiatique », à la distance à l’égard du Manifeste pour l’accueil des migrants, au soutien chaque jour plus affirmé des blocages du 17 novembre contre les taxes sur l’essence… Autant de prises de position, dans le noyau dirigeant de la France insoumise, qui semblent dessiner une nouvelle cohérence que l’on peut interroger. (...)

Une nouvelle stratégie  ?
En politique, plus que dans tout autre domaine, le fond et la forme sont inséparables. Du côté de la France Insoumise, la séquence politique de ces derniers mois peut être lue comme indiquant une inflexion stratégique vers un populisme de gauche plus affirmé. Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon est trop influent et le moment politique trop préoccupant, pour que cette hypothèse ne soit pas discutée.

Depuis des années, Jean-Luc Mélenchon a la conviction que la période historique est inédite et qu’elle appelle de l’invention politique. La démocratie, qui était sortie revivifiée du combat contre les fascismes, est désormais dans une crise d’une profondeur inouïe. Le peuple, ce souverain théorique de nos institutions, est marginalisé, démobilisé, désorienté. Il n’est plus, comme autrefois, partagé entre l’enthousiasme et la colère, mais entre la sidération et le ressentiment, oscillant entre la mise en retrait (l’abstention civique) et la tentation du sortez-les tous  ! Nous sommes au bout d’un long cycle démocratique, dont la crise globale interdit toute continuation à l’identique des modèles jusqu’alors usités.

Face à cette évolution, les gouvernants tiennent le même discours, depuis plus de trois décennies : il faut faire barrage face aux extrêmes et sauver la démocratie, en rassemblant les modérés des deux rives, à droite comme à gauche, autour des seules options raisonnables, l’économie de marché et la démocratie des compétences. Or, même rassemblées, les élites au pouvoir sont balayées dans les urnes, par les Orban, Salvini et autres Bolsonaro. Inutile donc de compter sur ces modérés pour éviter le naufrage démocratique.

L’hypothèse de Mélenchon est qu’il n’est plus temps de canaliser les colères pour les guider vers les repères classiques de la gauche et du mouvement ouvrier. L’ouragan de la crise a balayé tout sur son passage, ne laissant dans son sillage que le constat violent du fossé qui sépare irrémédiablement le peuple et les élites. Les rationalités politiques classiques n’agissant plus, il n’y a pas d’autre choix que de se couler dans le flux des émotions populaires, en épousant le mouvement des colères.

D’abord rendre visible que l’on est du parti du peuple ; alors la possibilité sera ouverte de disputer sa primauté à l’extrême droite, en montrant qu’elle n’est pas en état de satisfaire aux attentes, d’apaiser les douleurs et de surmonter les frustrations populaires. De cette intuition découlent une suggestion et un pari. La suggestion est que, d’une manière dévoyée, l’extrême droite est du côté du peuple, contre les élites de l’Union européenne. Le pari est que, en acceptant ce constat, on peut toucher les cœurs et les cerveaux de ceux qui se tournent vers cette extrême droite et leur montrer qu’ils font fausse route. (...)

Les pièges du "populisme de gauche"

La dialectique du eux et du nous est certes un moment indispensable pour que des individus aient conscience de ce qu’ils forment un tout. Du temps de la féodalité, ceux du village s’opposaient instinctivement à ceux du château. Puis le nous des ouvriers se constitua en groupe distinct, contre la galaxie des maîtres d’usines. Mais la prise de conscience élémentaire de faire groupe n’a jamais suffi à faire classe et, plus encore, à faire peuple. (...)