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orient XXI
La vie quotidienne sous les drones à Gaza et au Pakistan
Article mis en ligne le 28 mai 2015

Les Américains les utilisent discrètement dans les zones tribales du Pakistan à la recherche de cibles de « haute importance » chez les membres d’Al-Qaida et chez les talibans. Dans la bande de Gaza, Israël les déploie 24 h sur 24, pour surveiller et assassiner des membres du Hamas. Les deux contextes sont différents, mais leur point commun peut se résumer à une question : à quoi ressemble la vie au quotidien sous les drones ? Reportage dans ces deux pays.

Le bourdonnement est lointain mais audible. Sur le toit de sa maison, Tarek Sheheber, 45 ans, observe le ciel. « Un drone vole au-dessus de nous », assure-t-il. Les drones, les Gazaouis les appellent justement Zannanate — bourdonnement dans le dialecte palestinien. « Le bruit, constant, entre dans nos têtes et ne nous quitte plus », ajoute le père de famille. Un étrange sentiment d’impuissance se fait alors ressentir. Car les Zannanate peuvent frapper à tout moment. Sheheber l’a appris à ses dépens. D’une armoire métallique, il brandit un sac en plastique. À l’intérieur se trouvent des petits morceaux de missile. Il les dépose autour du trou causé par celui-ci et se met à parler. (...)

Les drones tuent, mais pour ceux qui échappent à la mort, vivre est un enfer. Surtout dans les quartiers limitrophes d’Israël comme Beit Hanoun. Le quartier semble tout droit sorti d’un séisme. Sur la route, dans l’une des rares maisons encore debout, Oum Mahmoud nous accueille. Elle bondit lorsque le sujet des drones est évoqué. « On vit constamment dans le stress. Ce bourdonnement rythme notre vie. Lorsqu’il est très présent, on ne sort pas. On sait qu’un drone va frapper une maison, une voiture, ou une rue du quartier. Parfois, le bourdonnement est éloigné alors on en profite pour sortir, pour faire ce qu’on a à faire, pour essayer de vivre. Chaque matin, on écoute le bruit de Gaza, il nous dira quelle type de journée nous subirons ». Cette mère de 5 enfants née à Beit Hanoun souhaite désormais quitter son quartier.

Le voisin, Yassine Odeh, a eu vent de la discussion. Il tient à nous faire savoir que le bruit des drones n’est pas la seule intimidation. « Nous sommes sous surveillance 24 heures sur 24. Ces drones observent nos moindres faits et gestes, écoutent nos téléphones, regardent ce que l’on achète, suivent nos déplacements en voiture. Lorsque je sors, je suis constamment sous pression, je fais attention à ce que je dis au téléphone car un simple mot comme “Hamas” par exemple peut me coûter la vie », dénonce-t-il en pointant le ciel du doigt. Il admet consulter régulièrement un psychologue.

De plus en plus de Palestiniens ingèrent du Valium, un puissant calmant, pour oublier les drones (...)

Pour Atef Abou Saif, écrivain et spécialiste des drones israéliens, « le drone est le nouvel occupant de Gaza. L’armée israélienne n’est physiquement plus là, mais elle occupe le ciel, elle nous domine par sa présence dans le ciel. Les habitants de Gaza se sentent observés, dominés et cela a un impact très négatif sur leur moral. Cette situation est intenable », analyse cet auteur d’une étude sur l’impact de ces engins de mort sur la vie des Gazaouis.

À Tel Aviv, un opérateur de drone a accepté de nous rencontrer. A une seule condition, ne pas mentionner son nom. À la base de Balmakhim dans la périphérie de Tel Aviv, il nous attend, entouré par le service de presse de l’armée israélienne. Les drones visent-ils des civils ? En dépit des accusations portées par Amnesty International et Human Rights Watch, l’opérateur nie en bloc. (...)

La guerre secrète de la CIA au Pakistan

À quelques milliers de kilomètres du Proche-Orient, à Peshawar, Rafiq Rehman accompagné de sa fille Nabila se tient debout avec la seule photo qui lui reste de sa mère. L’homme et sa famille sont originaires du Waziristan dans les zones tribales qui séparent le Pakistan de l’Afghanistan. Les drones, il s’amusait auparavant à les compter dans le ciel. « Je n’y prêtais pas vraiment attention car on nous avait dit qu’ils visaient uniquement les talibans », se remémore-t-il. Jusqu’à ce jour où sa famille en a été la victime.
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Contrairement à la bande de Gaza, il existe des données sur le nombre de morts civils causée par les drones. Selon une étude de The Bureau of Investigative Journalism, sur la tranche haute de 3962 victimes de drones, 962 seraient des civils, dont 207 enfants. Au Pakistan, un bombardement de drone sur quatre tue des civils.

Comme à Gaza, ceux qui échappent aux drones ne vivent plus comme avant. (...)

« Tout le monde a peur de sortir, non seulement à cause des drones mais aussi à cause des talibans qui arrêtent régulièrement des gens et les exécutent pour donner l’exemple », explique-t-il. Les habitants du Waziristan sont pris dans l’étau.

Le père de famille est en colère contre les États-Unis, mais aussi contre le gouvernement pakistanais jugé comme complice dans l’affaire des drones tueurs. (...)

À Islamabad, Akbar se targue d’avoir fait expulser le chef de la CIA au Pakistan. « Nous avons fait des recherches et découvert son nom. Lorsque nous avons porté notre affaire devant le tribunal d’Islamabad, le chef de la CIA a subitement quitté le territoire, dit-il avant d’ajouter, nous voulons aussi attaquer les fabricants de missiles et de drones ». (...)

Pour la première fois, dans un discours sur la défense à la Maison-Blanche en 2012, Barack Obama avait admis la mort de civils causée par les drones. Et dit que ces morts le hanteraient jusqu’à la fin de ces jours. Pourtant, l’heure des compensations et de la reconnaissance officielle de ces attaques n’est pas encore venue. En Israël, aucune donnée n’est disponible sur l’usage des drones dans la bande de Gaza. Le nombre de personnes tuées par les avions sans pilote reste encore méconnu.