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La ville stationnaire, nouvel imaginaire urbain
#ville
Article mis en ligne le 24 décembre 2022
dernière modification le 23 décembre 2022

Dans « La ville stationnaire », un ingénieur et deux architectes livrent leur plan de lutte contre l’artificialisation des sols : la ville écolo, la cité du futur, sera celle qui cesse de s’agrandir.

Débutons par un paradoxe statistique. Sur les cinq dernières années, la population française a cru à hauteur de 165 000 personnes par an. Vu la moyenne de personnes par ménage (2,2 aujourd’hui, contre 3,1 en 1960), on peut s’attendre à une augmentation proportionnelle du nombre de logements, soit autour de 80 000 par an. Mais sur cette même période, le parc immobilier a augmenté de 350 000 logements par an. Autrement dit, le parc immobilier croît deux fois plus vite que la population française.

Or, comme l’expliquent Philippe Bihouix, Sophie Jeantet et Clémence de Selva dans leur essai La ville stationnaire. Comment mettre fin à l’étalement urbain ? (Actes Sud, octobre 2022), cette frénésie de nouvelles constructions augmente mécaniquement la taille des villes et particulièrement celle des métropoles, au détriment des terres agricoles. (...)

Cette artificialisation des sols est connue et débattue de longue date. Elle produit des effets délétères tant à la campagne que dans les métropoles, devenues de plus en plus « barbares » selon l’expression du géographe Guillaume Faburel. Comme ce dernier, les auteurs de La ville stationnaire jugent les villes denses contreproductives, selon la définition qu’en donne Ivan Illich.

En effet, si « les citoyens hyperurbains prennent peu de place », ils « mobilisent des mètres carrés à l’extérieur par leur profil de consommation » et transforment les terres agricoles avoisinantes en « espaces servants » des métropoles. (...)

Beaucoup plus inédite est l’approche des trois auteurs pour envisager de mettre concrètement un terme à l’étalement urbain. En raison de leurs parcours techniciens — Bihouix est ingénieur, Jeantet et De Selva sont architectes —, les essayistes revendiquent une approche pragmatique du phénomène urbain, aux antipodes des utopies architecturales d’un Le Corbusier : « Les villes idéales sont déjà là, ce sont celles que nous habitons. Elles ne sont pas idéales parce qu’elles sont parfaites, mais parce qu’elles sont les seules que nous avons à notre disposition et qu’il faudra bien faire avec. »

L’« état stationnaire » est le seul durable

C’est pourquoi, plutôt que de faire table rase des villes contemporaines, ils envisagent point par point les solutions techniques pour en limiter les impacts environnementaux ; mais, chose rare, ils les rejettent quasiment toutes pour imaginer rien de moins que l’arrêt brutal de toute expansion urbaine, au profit d’un « état stationnaire », le seul véritablement durable.

Continuer à construire au rythme actuel, en verdissant l’un ou l’autre des paramètres — que ce soit les matériaux de construction, leur recyclage, la compensation des artificialisations, etc. —, rencontre en effet rapidement des limites. (...)

les techniques d’écoconstruction à base de géomatériaux (ciment, pierre et acier) ne servent bien souvent que de « cache-sexe du business as usual » : même en les recyclant bien mieux qu’aujourd’hui et en diminuant les additifs qui les composent, ciment et acier pèsent bien trop lourd dans le bilan carbone pour une croissance soi-disant verte. (...)

Il en va autrement des biomatériaux, comme le bois et la terre. Certes, leur impact carbone est nettement moindre, du fait de leur caractère renouvelable et aisément recyclable. Mais il y a d’autres facteurs à prendre en compte que les seules émissions de CO₂.

À ce titre, les auteurs se livrent à quelques calculs et diagrammes pour estimer la proportion de forêts françaises qu’il faudrait consacrer à la construction immobilière si l’on désirait que tous les futurs logements neufs soient en bois. Résultat : il faudrait mettre à contribution la moitié des forêts de l’Hexagone ! (...)

À l’inverse, la construction en terre a nettement plus de marge de manœuvre devant elle, à condition qu’elle dépasse l’image négative qui lui est associée.

Les choses pourraient toutefois changer avec l’introduction du principe de « zéro artificialisation nette » (ZAN) d’ici 2050, votée par la loi Climat en 2021. La ZAN aura d’abord pour effet indéniable de raréfier la ressource qu’est le sol constructible, de sorte qu’il ne sera plus aussi facile qu’auparavant pour les promoteurs immobiliers de construire sur des terres agricoles.

Un changement aussi complexe que la sortie du pétrole (...)
C’est tout un imaginaire de la densification qu’il s’agit alors de cultiver en même temps qu’on défait celui de la maison avec jardin privatif.

Mais les essayistes ne sont pas dupes : entasser des gens dans des barres d’immeubles comme après-guerre ne séduira personne. Densifier signifie donc tenir l’équilibre entre l’optimisation du foncier urbain existant — à travers la réhabilitation de friches, la chasse aux logements vacants et aux résidences secondaires ou encore la construction dans les « dents creuses » de la ville — et la densité perçue par les habitants.

Des villes « libérées de l’injonction à la croissance »

Néanmoins, même en forçant à construire moins et mieux, la zéro artificialisation brute ne traiterait que les conséquences, et non la cause, de l’étalement urbain. C’est pourquoi Bihouix, Jeantet et De Selva préconisent de s’attaquer aux racines de ce phénomène, à savoir la métropolisation, soit le processus de concentration de populations, d’activités, de valeur dans des villes de grande taille. (...)

Loin d’être moribonde, une ville stationnaire serait, selon les auteurs, « libérée de l’injonction à la croissance » pour mieux se concentrer sur le bien-être de ses habitants. (...)