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La vraie vie du poisson pané, de l’Arctique à l’assiette
Article mis en ligne le 9 octobre 2016
dernière modification le 5 octobre 2016

Il est colin, cabillaud, merlu ou encore aiglefin. Pêché dans les eaux glacées par des chalutiers-usines, vendu aux industriels qui le recouvrent d’une chapelure à la composition peu naturelle, il parvient dans les rayons des supermarchés. Voici la chaîne du poisson pané, sur fond de ressource menacée et de conditions de travail dantesques. (...)

D’où vient le poisson rectangulaire ? Dans un cas sur trois, aucune mention sur la boîte ne nous renseigne. « On ne sait pas ce que l’on mange puisqu’il n’y a pas d’indication d’espèces », dit Marine Desorge, de l’association des consommateurs CLCV (Consommation logement et cadre de vie). Son étude, publiée en juin dernier, passe au crible 75 échantillons de poissons panés. « Le fabricant se contente de dire qu’il s’agit de “poisson”, ce qui lui permet, en fonction des cours et des disponibilités du marché, de mettre une espèce ou une autre. » Pour savoir ce qu’est le poisson pané, il faut chercher ailleurs que sur le carton. (...)

Les géants français de la pêche partent de Saint-Malo, en Bretagne, ou de Boulogne-sur-Mer, dans les Hauts-de-France. Ces chalutiers mesurent cinquante mètres de long minimum, soit plus de deux fois la longueur d’un terrain de tennis. Leur nom vient de l’immense filet — le chalut — qu’ils trainent derrière eux pour capturer les poissons. Deux entreprises, la Compagnie des pêches de Saint-Malo et Euronor, ont prévu de s’équiper d’un navire de 80 mètres de long en 2017 pour relancer la pêche industrielle en France.

« La morue n’est jamais revenue » (...)

« Marin-pêcheur, l’un des plus durs métiers au monde »

Ils se relaient chaque jour, pas un de moins, 24 heures sur 24, pendant trois mois. La moitié de l’équipage reste six heures sur le pont pendant que l’autre se repose, puis la remplace. « Si on commence à minuit, on dort avant. On s’arrête à 6 h, on déjeune, et ainsi de suite », compte le matelot. Pour soutenir le rythme, un cuisinier et son aide, ainsi qu’un boulanger, préparent quatre repas par jour. Pendant ce temps, dans leur cabine, le capitaine et les officiers ont les yeux rivés sur le sonar, qui localise les zones poissonneuses grâce aux sons émis sous l’eau. Six mécaniciens gèrent les machines et deux ouvriers s’affairent à l’usine, sous le pont du bateau. Quant au reste des marins, ils descendent les aider quand ils ne sont pas dehors à manœuvrer l’immense chaussette, c’est-à-dire le chalut qui capture les poissons. (...)

« Il n’est pas rare que des gars soient blessés gravement avec les câbles du chalut, prévient Yves Duteil. Si vous les prenez dans les jambes par exemple, ça vous les coupe d’un coup ! C’est un rude boulot : même s’il fait moins 10 °C dehors, vous finissez en sueur. » Joséphine Labat, madame Pêche de WWF France, ajoute avec respect : « Le métier de marin-pêcheur est l’un des plus durs au monde. »

Le poisson est préparé et congelé sur le bateau : « Les marins lèvent les filets, les nettoient puis les entassent dans un grand moule rectangulaire. Ils sont refroidis très fort et très vite pour former un bloc surgelé », explique Anne-Sophie Baumann, auteure de D’où vient le poisson pané ? Les cubes de poisson-glace pèsent jusqu’à 7 kilogrammes. Sur certains navires, ils peuvent aussi être conditionnés en sachets individuels sous vide, prêts à être vendus en rayon de supermarchés. (...)

L’immense filet racle les sols, les coraux et toutes autres espèces sur son passage

Ces derniers ont une grande responsabilité quant aux méthodes de pêche. L’enseigne aux trois mousquetaires l’a récemment prouvé en annonçant qu’elle stoppait le chalutage profond. Cette technique de pêche a ensuite été interdite par l’Union européenne au-delà de 800 mètres de profondeur. Le fruit de quatre années de combat contre cette technique dévastatrice pour les fonds marins. (...)

Des exhausteurs de goût et des additifs

Les gros blocs de poissons surgelés sont revendus à terre à des fabricants. Les ouvriers démoulent les blocs de poissons agglomérés. Des machines les découpent en bâtonnets. Ils sont trempés dans un mélange de farine de blé, d’eau, de sel, d’épices et d’huiles végétales. De l’huile de palme ? « Parfois oui, mais de moins en moins, assure Marine Desorge. De l’huile de colza de plus en plus. » On trouve aussi des exhausteurs de goût et des additifs, ces agents artificiels qui permettent au poisson de tenir à la chapelure et vice versa. Une fois ces éléments réunis, les bâtonnets sont plongés dans la chapelure et légèrement frits. Du moins en théorie.

Sur la balance, la panure représente la moitié de chaque bâtonnet. Et qu’en est-il de la chair de poisson utilisée ? C’est souvent l’absence d’information qui en dit long : « Quand les fabricants utilisent le filet de poisson, la partie noble de l’animal, ils le signalent. Quand ce n’est pas précisé, on part du principe que ce n’est pas du filet ! » Qu’est-ce, alors ? (...)

Avec 25 kilos par an et par habitant, les Français sont les cinquièmes plus gros mangeurs de poissons d’Europe. Cette moyenne stagne depuis plusieurs années. Pas pour « les poissons enrobés », déplore France Agrimer, l’organisme qui observe l’état de la filière industrielle : la consommation de poisson pané est en pleine régression. Les enfants en ont peut-être assez que l’on délaisse leurs papilles. (...)