Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Lanceurs d’alerte : l’Assemblée en passe de voter une loi progressiste
Article mis en ligne le 16 novembre 2021

Alors que les libertés publiques ne cessent d’être malmenées en France, la commission des lois à l’Assemblée nationale a entériné la proposition de loi la plus progressiste d’Europe en matière de protection des lanceurs d’alerte. Même si des amendements importants ont été rejetés, cette victoire est à mettre au crédit de la coalition autour de la Maison des lanceurs d’alerte, un outil démocratique atypique dans un paysage politique délétère.

En ces temps glauques où l’espace public est tout entier occupé par des débats rances, emplis de haines, de xénophobie ou de racisme, propagés par des chaînes de télévision faisant ouvertement le jeu de l’extrême droite, il n’est pas si fréquent de pouvoir se réjouir d’avancées démocratiques. Alors, quand c’est malgré tout le cas, il ne faut surtout pas se priver. Et il est aussi précieux de comprendre par quelle alchimie particulière de telles avancées ont pu avoir lieu, alors que les libertés sont si souvent menacées. (...)

même si le débat est encore inachevé, et même si beaucoup d’amendements progressistes ont été rejetés en commission des lois – tout va donc se jouer mercredi prochain en séance publique –, le texte tel qu’il est, après cet examen en commission, comporte de très nombreuses avancées démocratiques. En l’état, c’est le texte le plus progressiste qui ait été dessiné en Europe. Il est donc utile de cerner ce que sont ces avancées et de comprendre comment, dans un tel contexte politique dépressif, elles ont été possibles. (...)

S’il est utile d’identifier ces avancées et de comprendre comment elles ont été obtenues, c’est évidemment parce que la protection des lanceurs d’alerte est un enjeu démocratique majeur. De Julian Assange (WikiLeaks) à Frances Haugen (Facebook), en passant par Edward Snowden (programmes de surveillance de masse américain et britannique) ; d’Antoine Deltour (LuxLeaks) à Irène Frachon (Mediator), la liste est désormais interminable de ces lanceurs d’alerte, à l’étranger comme en France, qui ont révélé des informations d’intérêt public d’importance majeure, que les États ou les entreprises concernés auraient voulu garder secrètes et auxquelles les citoyens ont heureusement eu tout de même accès.

Grâce au courage de ces lanceurs d’alerte – dont beaucoup affrontent les pires difficultés –, c’est donc un droit majeur des citoyens – le droit de savoir – qui se trouve défendu. La liberté de la presse et l’alerte citoyenne sont ainsi les deux piliers de ce droit de savoir sans lesquels il n’y a pas de réelle démocratie. Ou plutôt pas de démocratie du tout.

C’est dire l’enjeu majeur de la transposition en droit français de la directive européenne sur les lanceurs d’alerte, dont la proposition de loi de Sylvain Waserman est le véhicule. Dans un contexte où la liberté de la presse est menacée – on le voit bien en France, avec la mainmise de plus en plus pesante des puissances d’argent sur les principaux médias, et la cascade de lois liberticides que l’on a connue, à commencer par celle sur le secret des affaires –, il est décisif de mener le combat démocratique sur tous les fronts, pied à pied. Et si des victoires peuvent être, malgré tout, remportées, il faut s’en féliciter et s’appuyer sur elles pour en gagner d’autres encore. (...)

Des victoires d’importance

Dans le lot de ces victoires, il y a d’abord le fait que la définition retenue par la loi du lanceur d’alerte est une définition large, qui n’est pas limitée à la sphère professionnelle. C’était un point majeur, et il est consigné dans le texte : un lanceur d’alerte est un citoyen qui révèle un fait d’intérêt général. (...)

Autre victoire d’une considérable importance : si le texte a un jour force de loi, le lanceur d’alerte n’aura plus à suivre les trois paliers fixés jusqu’à présent par la loi dite Sapin II : d’abord alerter sa hiérarchie ; alerter ultérieurement l’autorité judiciaire ou administrative si le destinataire de la première alerte n’y a pas donné suite ; et enfin, trois mois plus tard, si les autorités compétentes n’ont rien fait, et seulement dans ce cas, rendre l’affaire publique, par exemple en saisissant la presse. Le nouveau texte balaie toutes ces procédures, qui exposaient les lanceurs d’alerte à de perpétuelles représailles, et donne le choix aux lanceurs d’alerte. (...)

Ce qui constitue, on en conviendra, une avancée remarquable.

Autre avancée tout aussi remarquable, car les lanceurs d’alerte sont souvent démunis face à la force de frappe des firmes dont ils révèlent les pratiques : les entreprises qui engagent des représailles ou des poursuites abusives pourront être condamnées par les juges à financer la défense des lanceurs d’alerte dont elles cherchent à étouffer la voix. (...)

Le référé qui permettrait la prise en charge des frais de justice des lanceurs d’alerte pourrait permettre aussi à ceux-ci de recevoir des subsides pour frais de subsistance quand leur situation financière se dégrade. (...)

Et surtout, la nouvelle rédaction de la proposition, adoptée par la commission des lois, stipule cette autre disposition, d’une considérable importance : « La prise de représailles […] à l’égard d’une personne en raison de sa qualité de lanceur d’alerte au sens de l’article 6 est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »

Au nombre des avancées, on peut encore citer cette procédure en référé à laquelle pourront prétendre des agents publics ayant usé de leur droit d’alerte. (...)

Mieux que cela, le devoir de réserve pourrait ne plus être opposable aux lanceurs d’alerte fonctionnaires.

Des occasions manquées, aussi

Ces victoires ne sont certes pas complètes, car beaucoup d’autres amendements progressistes ont aussi été rejetés et c’est tout à fait désolant. Certains d’entre eux étaient d’une considérable importance. (...)
« la protection des référents alerte en entreprise, l’exception au devoir de réserve, la possibilité pour les organisations de se substituer au lanceur d’alerte pour lui éviter de s’exposer, la protection des sources des facilitateurs, la négociation des canaux internes avec les syndicats… » (...)

La MLA invite donc les citoyens à interpeller leur député, et elle ajoute : « Nous leur demandons notamment de peser sur le gouvernement pour qu’il mette en place une solution viable pour soutenir financièrement et psychologiquement les lanceurs d’alerte, puisque seul ce dernier en a le pouvoir ! En l’état, la loi reste lacunaire sur de nombreux autres points : soutenir financièrement et psychologiquement les lanceurs d’alerte, empêcher les représailles en faisant bénéficier le lanceur d’alerte du statut de salarié protégé, étendre le droit de saisir les autorités et les garanties de protection aux facilitateurs – ces personnes et ces organisations qui aident les lanceurs d’alerte dans leur démarche –, améliorer les canaux d’alerte interne en y associant les syndicats et les représentants du personnel… Il est plus que jamais important de faire entendre notre combat à l’ensemble des députés ! » (...)

En somme, la MLA veut à juste titre pousser son avantage. C’est d’autant plus justifié que rien n’est définitivement joué. Si la proposition de loi devrait être adoptée sans trop de difficultés mercredi à l’Assemblée nationale, il restera l’obstacle du Sénat, beaucoup plus incertain. Or, si le Sénat détricote le texte et que la commission mixte paritaire qui s’ensuivra n’est pas conclusive, certains craignent que les députés, de peur d’être pris par le temps puisque la session parlementaire s’achève le 27 février prochain, n’en viennent à reculer sur plusieurs dispositions phares du projet.

Mais il reste qu’en l’état, de très grands progrès ont été arrachés. Et c’est précisément la raison pour laquelle il importe de comprendre pourquoi d’aussi fortes avancées démocratiques ont déjà été obtenues, alors que les libertés publiques sont en recul un peu partout en Europe, et particulièrement en France. (...)

La Maison des lanceurs d’alerte au cœur du combat

À cette question, il y a une réponse qui coule de source : la MLA est un outil démocratique absolument sans pareil dans le paysage politique français. Alors que le mouvement syndical est le plus souvent divisé, alors que la gauche politique aborde l’élection présidentielle dans une situation de fractionnement sans précédent qui la conduit à une défaite assurée, face à une extrême droite de plus en plus menaçante, la MLA semble baigner dans un écosystème singulier. C’est comme une bouffée d’oxygène démocratique, dans un pays au bord de l’asphyxie… démocratique.

Voici un lieu atypique où les syndicats de toutes tendances, où les associations de toutes obédiences, où les ONG de tous horizons travaillent ensemble, sans la moindre chamaillerie, sans la moindre arrière-pensée, dans un seul souci, celui de l’intérêt général.