Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Basta !
Lasagnes à la viande de cheval : six ans après, les fraudes alimentaires se poursuivent
Article mis en ligne le 24 janvier 2019

De la viande de cheval dans des lasagnes « pur boeuf » ! En février 2013, ce scandale alimentaire défraie la chronique. Depuis six ans, bien d’autres affaires ont éclaté, comme celle du fipronil, cet insecticide retrouvé dans les œufs. A chaque fois, la même promesse des gouvernements : résoudre les failles dans les systèmes de contrôle européens sur la sécurité alimentaire. Alors que le procès Spanghero se déroule jusqu’au 13 février, des chevaux impropres à la consommation humaine continuent aujourd’hui de se retrouver sur le marché européen. Et les consommateurs français sont loin d’être épargnés.

L’affaire n’a pas fait de bruit en France, bien que les consommateurs de l’hexagone soient concernés. En avril 2017, 65 personnes sont arrêtées en Espagne par la garde civile, dans le cadre de l’opération « Gazel », en coordination avec Europol et la participation des polices belge, italienne, portugaise, roumaine, suisse, britannique... et française. Elles sont soupçonnées de faire partie d’un réseau criminel organisé commercialisant en Europe de la viande de cheval impropre à la consommation humaine.

Deux abattoirs espagnols auraient introduit dans le circuit destiné à la consommation humaine, de la viande provenant de chevaux en « mauvais état », « trop âgés » ou étiquetés « impropres à la consommation ». L’organisation criminelle transformait la viande, puis falsifiait l’identité de l’animal en modifiant sa puce électronique, avant de l’expédier en Belgique. Ce réseau – accusé de maltraitances animales, de crimes contre la santé publique, de falsification, d’organisation criminelle et de blanchiment d’argent – aurait tiré de ces pratiques illégales quelque 20 millions d’euros de bénéfices. Des propriétaires d’abattoirs, des vétérinaires et des éleveurs sont dans le collimateur des enquêteurs. En octobre 2018, la cour suprême espagnole a enjoint le tribunal national à enquêter sur ce réseau. (...)

Au cœur de ce réseau, un homme attire l’attention : le néerlandais Johannes Fasen (ou Jan Fasen). Ce dernier aurait mis en contact les producteurs espagnols avec des acheteurs européens [1]. Or, ce même Johannes Fasen, patron de la société Draap Trading (anagramme de Paard qui signifie « cheval » en néerlandais), basée à Chypre, fait partie des quatre personnes qui comparaissent en France, dans le cadre de l’affaire des lasagnes « pur bœuf » contenant... de la viande de cheval. Alors que le procès s’est ouvert le 21 janvier au tribunal correctionnel de Paris et doit durer jusqu’au 13 février, Johannes Fasen ne s’est pour l’heure pas présenté au tribunal, du fait du contrôle judiciaire strict pesant à son encontre en Espagne [2].

Trois autres personnes sont poursuivies : Hendricus Windmeijer, négociant néerlandais, ainsi que deux anciens responsables de la société Spanghero - l’ex directeur Jacques Poujol et Patrice Monguillon, un ex cadre de la société. Ils sont poursuivis principalement pour « tromperie » et « escroquerie en bande organisée », et encourent jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Pour Karine Jacquemart, directrice de l’association foodwatch France, ce procès doit être « un signal contre l’impunité et l’occasion de briser le cercle infernal qui permet aux scandales alimentaires de s’enchaîner avec un schéma quasi immuable : opacité pour les consommateurs, manque de traçabilité, sous-effectifs criants au sein des organes de contrôle ». Six ans après le « chevalgate », quels enseignements ont été tirés par les autorités sanitaires et gouvernementales ? (...)

Spanghero se voit signifier le retrait de son agrément sanitaire pour le négoce de viande dès le 14 février 2013 [4].

Outre Findus, plusieurs marques – Auchan, Carrefour, Cora, Grand Jury, Nestlé, Monoprix, Panzani, Picard, Ikea... – sont incriminées [5]. Dans le mois qui suit, la Commission européenne lance une série de tests ADN qu’elle cofinance à hauteur de 75 % : des plats préparés « pur bœuf » sont analysés dans toute l’Europe. La France se révèle être le plus mauvais élève européen avec 13,3 % des 353 analyses effectuées en France positives à la viande de cheval.

Coupes dans les effectifs de la sécurité sanitaire
Comment en est-on arrivés là ? Le 10 octobre 2013, un rapport du National audit office au Royaume Uni – l’équivalent de la Cour des comptes en France – estime que cette crise aurait pu être prévenue et mieux gérée si les services chargés des contrôles n’avaient pas vu leurs budgets réduits [6]. Aucun test sur la présence de viande de cheval dans l’alimentation n’a été réalisé en dix ans. En parallèle, le nombre d’experts dédiés à la sécurité sanitaire au Royaume Uni a diminué. La situation est similaire en France. (...)

« Il y a un bras de fer entre les éleveurs et les transformateurs, et la Commission se range plutôt du côté de ces derniers, appuie l’eurodéputé écologiste José Bové. Les industriels de la transformation agroalimentaire avancent toujours les mêmes arguments : ce serait trop compliqué, trop coûteux, cela segmenterait le marché européen, ajouterait de la bureaucratie. »

Des circuits tout sauf « courts »
Un étiquetage sur l’origine des viandes dans les plats préparés a tout de même été mis en place en France depuis le 1er janvier 2017. Cette expérimentation prévoit, au moins jusqu’au 31 mars 2020 [8], que soient indiqués sur l’étiquette les lieux de naissance, d’élevage ou d’engraissement. Ainsi, les produits transformés avec 100 % de viande française ou 100 % de lait français sont étiquetés « Produit d’origine française ». Cet étiquetage n’est toutefois obligatoire que lorsque la part de viande est égale ou supérieure à 8 % du poids d’un produit préparé [9] et des limites sont pointées par plusieurs organisations. Une opération du syndicat des Jeunes agriculteurs menée le 19 avril 2017 dans des supermarchés parisiens révèle par exemple des modifications de recettes pour faire passer le taux de viande sous la barre des 8 %.

Les pouvoirs publics ont réservé la possibilité d’indiquer une origine plus vague « Union Européenne » à des cas particuliers de forte variabilité des approvisionnements ou encore lorsque les pays de naissance d’élevage, de collecte ou d’abattage sont différents. (...)

« Ce qui s’est passé au Brésil au mois de mars 2017 montre que le marché mondial de la viande est gangrené, confirme José Bové [10]. Des morceaux avariés étaient vendus et incorporés à du minerai de viande. Le système tenait grâce à la corruption de certains agents des fraudes. Oui, je pense que le mot mafia n’est pas trop fort. Il s’agit d’une mafia mondialisée. » L’eurodéputé se refuse toutefois à des généralisations qu’il juge « dangereuses » : « De nombreux éleveurs et transformateurs font leur travail avec conscience. Acheter dans des Amap et retrouver le plaisir de cuisiner nous permettent de contrôler nous mêmes ce que nous retrouvons dans nos assiettes. » (...)

« Le scandale (de la viande de cheval vendue pour du bœuf) a généré quelques mesures, observe Foodwatch : la création d’un réseau européen pour une meilleure collaboration entre Etats membres, le Food Fraud Network, la loi Hamon qui a presque multiplié par dix les amendes en cas de tromperie [13] ou encore la mention obligatoire en France depuis 2017 de l’origine de la viande dans les plats préparés. » Pour autant, six ans après l’affaire de la viande de cheval, l’association estime qu’ « il est impératif d’aller beaucoup plus loin. » La récente opération Gazel en Espagne confirme que les failles dans les systèmes de contrôle européens sur la sécurité alimentaire n’ont pas été comblées. Au détriment, toujours, de la confiance dans le contenu de nos assiettes.