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La quadrature du net
Le Parlement doit rejeter le flicage fiscal des réseaux sociaux
Article mis en ligne le 5 novembre 2019

Le gouvernement, à travers l’article 57 du projet de loi de finances pour 2020 (PLF2020), veut permettre à l’administration fiscale et aux douanes de surveiller les plateformes Internet. Le texte est encore en discussion à l’Assemblée nationale mais cet article 57 doit être rejeté en bloc.

Auditionné·es la semaine dernière à ce sujet par le rapporteur (Philippe Latombe, groupe MoDem) de la commission des lois, saisie pour avis, nous avons demandé la suppression de cet article. Notre appel n’a pas été entendu et nous le déplorons fortement. Désormais, nous appelons l’ensemble des député·es à supprimer cet article. (...)

la totalité des internautes utilisant ces sites seront potentiellement concerné·es, peu importe leur nationalité, peu importe la nature des propos tenus, peu importe que les propos aient été retirés de la place publique ensuite, peu importe l’utilité et la pertinence des données collectées. Cela signifie également que l’administration traitera des données sensibles, y compris celles pouvant révéler une opinion politique, philosophique ou religieuse, y compris des propos relatifs à l’orientation sexuelle des personnes, y compris des propos mis par erreur sur la place publique. Il est inévitable que d’une telle surveillance résultera une auto-censure. Également, puisque l’administration pourra traiter des données privées qui n’ont pas été rendues publiques par les personnes directement concernées, l’atteinte au droit à la vie privée sera massive. Ce que dira votre voisin·e pourra être retenu contre vous.

Il s’agit ici de prendre un bazooka pour tuer une mouche. Les types de délits sont précis — bien que trop nombreux — mais, pour cela, le gouvernement sort la grosse artillerie. L’outil qu’il envisage est disproportionné, avec les risques d’atteintes à nos droits et libertés qui s’en suivent.

Certes, la lutte contre la fraude fiscale est légitime et reconnue par le Conseil constitutionnel comme un objectif de valeur constitutionnelle. À ce titre, il est juridiquement possible d’admettre certaines atteintes aux droits et libertés pour poursuivre un tel objectif. Mais ce que nous propose le gouvernement est contraire à la Constitution, au droit de l’Union européenne et au droit de la CEDH. Au-delà du juridique, accepter ce texte serait une grave faute morale : il n’est pas admissible, dans une démocratie, d’accepter de surveiller toute une population pour retrouver, éventuellement, quelques fraudeur·euses.
Rejeter ce texte n’est pas un cadeau aux fraudeur·euses (...)

l’exposé des motifs est laconique. Aucun chiffre, aucune évaluation. Le gouvernement est bien incapable d’estimer les effets positifs de sa mesure.

Les gains en efficacité pourraient donc être nuls, l’administration pouvant déjà faire ce travail de lutte contre la fraude fiscale correctement. Ce qui est envisagé dans le PLF2020 est déjà fait manuellement : les fonctionnaires du fisc et des douanes scrutent déjà les fraudeur·euses sur internet, manuellement, au cas par cas, et dans le respect des droits et libertés. Une analyse humaine permet de préserver la qualité de la collecte et le respect des droits de chacun·e. L’automatisation d’un tel travail risque simplement d’augmenter les faux positifs à vérifier et de détourner l’administration de sa mission concrète. (...)

c’est le principe même de cet article qu’il faut rejeter. Il est présenté comme une « expérimentation » dont le but est d’évaluer les risques et bénéfices de la pratique qu’il autorise. En vérité, il ne s’agit en rien d’une expérimentation : déployée pendant 3 ans sur l’ensemble du territoire et des sites concernés, contre toute la population, il s’agit d’une pure et simple autorisation. Un blanc-seing donné avant toute évaluation concrète, et donc toute discussion possible — l’inverse de la logique du RGPD et du débat démocratique. La commission des lois aurait dû rejeter le texte pour cette seule raison.

Elle a seulement proposé, dans son avis, de limiter cette surveillance aux sites de e-commerce, alors qu’étaient auparavant également visés les réseaux sociaux. Cette limitation est largement insuffisante puisque l’objectif du gouvernement est de surveiller les communications publiques. La suppression de l’article est la seule issue satisfaisante. (...)

C’est désormais au tour de la commission des finances d’étudier cet article. La commission des lois a été incapable de comprendre l’erreur que serait l’adoption de cet article. Nous appelons la commission des finances à le supprimer.

L’écoute des plateformes reste un outil de surveillance de masse. Autoriser son utilisation pour lutter contre la fraude fiscale n’est que la première étape d’un plan de surveillance globale de la population. Demain, cette méthode pourrait être utilisée pour repérer la fraude aux allocations, pour identifier des résidents étrangers ou encore faire du fichage politique — si ce n’est pas déjà le cas.