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« Le Pen grande gagnante » : un matraquage médiatico-sondagier (partie 1)
#extremeDroite #medias #democratie
Article mis en ligne le 23 mai 2023
dernière modification le 22 mai 2023

Dès le lendemain de l’élection présidentielle de 2017 et tout au long du quinquennat, les chefferies éditoriales ont fait d’un supposé « duel Macron-le Pen » le centre de gravité de la vie politique et l’issue inévitable du scrutin présidentiel de 2022 ; ce pur artefact journalistico-sondagier venant crédibiliser et légitimer chaque jour davantage la candidate frontiste [1]. En 2023, il ne leur aura fallu que quelques semaines après le début du mouvement social contre la réforme des retraites pour actualiser la fiction performative et renouer avec la pratique du journalisme de pronostics : le RN serait d’ores et déjà « le grand gagnant de la crise ». Hégémonique dans le débat médiatique, de Libération à CNews, le leitmotiv doit en partie son succès à la sondomanie aiguë d’un journalisme politique aussi mimétique dans ses pratiques qu’uniforme dans ses manières de voir, commenter et analyser « l’actualité ».

« Souvenez-vous quand le social était un sujet de gauche. C’est désormais Marine le Pen qui est en pointe sur la question. » Ce court chef d’œuvre de « réalité alternative », manière dont les commentateurs nomment aujourd’hui le mensonge, n’est pas extrait d’un tract du Rassemblement national ni d’un entrefilet de Valeurs actuelles, pas plus qu’un d’un obscur blog internet. Il s’agit du « brief politique » de Jean-Rémy Baudot, journaliste au service politique de France Info, déclamé à l’antenne le 17 avril 2023. Un professionnel en plein exercice de mystification, certes, mais loin d’être isolé...

Commençons par souligner que si le RN n’a joué strictement aucun rôle dans la construction, l’organisation et encore moins dans l’animation du mouvement social, et a investi relativement peu de forces dans le travail parlementaire, il est loin d’être passé sous les radars médiatiques. « Retraites : le RN peine à se faire entendre ? » interrogeait un bandeau de Franceinfo, le 24 janvier. Des chefferies éditoriales... pas vraiment.

Frontistes « absents », médias grossissants (...)

même absente, l’extrême droite est omniprésente. Dans la totalité des médias (ou presque), il fut en effet très tôt admis et décrété que Marine Le Pen était « la grande gagnante » de la séquence politique et sociale. Que cette séquence ne soit pas terminée à l’heure où nous écrivons ces lignes importe peu aux professionnels du commentaire, aussi pressés d’y mettre un terme que d’en tirer un (seul) bilan politique.

Un journalisme de pronostics (...)

Et de fait, la gauche syndicale et politique est exclue du champ de vision des journalistes, qui n’ont d’yeux que pour les deux finalistes de l’élection présidentielle passée (...)

« La grande gagnante »... médiatique (...)

Diabolisation de la gauche ; normalisation de l’extrême droite : deux faces d’un même discours qui, loin d’être cantonné à la télé-comptoir de Vincent Bolloré, est rabâché par l’intégralité des professionnels du commentaire plus ou moins à la remorque – et vice versa – de nombre de responsables politiques (...)

Crise sondomaniaque du journalisme politique

C’est véritablement à partir de la fin mars que survient l’emballement, lorsque plusieurs rédactions, à tour de rôle, se ruent vers les instituts pour leur commander des sondages d’intentions de vote rejouant les précédentes (ou prophétisant les futures) élections présidentielle et législatives (...)

Évidemment, chaque livraison sondagière fait l’objet d’un battage médiatique sur-mesure, ancrant dans l’agenda la prédominance politique du RN (ce à quoi le public doit penser) et déchaînant les commentaires des prescripteurs d’opinion (ce que le public doit en penser). Parmi les innombrables malfaçons journalistiques qui caractérisent ces séquences de frénésie sondagière, citons seulement la propension des commentateurs à touiller dans une grande marmite des spéculations pré-électorales, des baromètres de popularité, des thermomètres d’« image », et des études d’opinions, soit un grand fourre-tout disparate, où, pour chacune des études, les mots que l’on propose aux sondés et les questions qu’on leur pose sont inévitablement compris et interprétés différemment… Sans parler de l’inanité des sondages s’appuyant sur un second tour « Macron-Le Pen » qui par définition n’aura pas lieu ! Toutes ces critiques sont connues depuis des lustres, mais elles ne pèsent rien face à la machine de guerre médiatico-sondagière. (...)

Ainsi les chiens de garde prétendent lire dans les entrailles des études d’opinion non seulement que Marine Le Pen est plébiscitée par « Les-Français », mais également que ces derniers ont sanctionné la stratégie menée par la gauche au Parlement et ratifié celle de l’extrême droite... (...)

Dès le début du mouvement social, les chiens de garde ont disqualifié les propositions alternatives portées par la gauche sociale et politique, quand ils n’omirent pas soigneusement d’en informer leurs publics ; ils ont enjoint à différentes personnalités politiques de gauche de « rester à leur place » et de ne pas « récupérer le conflit » tout en les invectivant ; ils ont prophétisé l’apathie, prêché la résignation et rabâché à longueur d’antenne que « de toute façon, la réforme passerait » ; ils ont amplifié le « chaos » des débats parlementaires pour le bien de l’information-spectacle et désinformé quant au fond des arguments de la gauche ; ils l’ont convertie en « incarnation de la violence symbolique » ; ils ont privilégié la tambouille politicienne en surexposant les guéguerres de chefs de clan et en annonçant jour après jour la mort de la Nupes tandis qu’ils privaient de toute couverture nombre de ses initiatives et meeting unitaires organisés partout en France. « En même temps », parachevant l’indigence, ils n’ont eu de cesse de servir objectivement le Rassemblement national, présenté comme le seul opposant « crédible » face à Emmanuel Macron et propulsé en « grand vainqueur de la crise »... (...)

Ainsi le journalisme politique participe-t-il, chaque jour davantage, à crédibiliser et à légitimer l’extrême droite. « Marine Le Pen, nouvelle maîtresse des horloges » titrait L’Opinion en Une le 26 avril. Des horloges médiatiques, cela ne fait aucun doute. À suivre...