
La question du financement du terrorisme est au cœur de la crise qui secoue la région du Golfe depuis le 5 juin. Dans l’oeil du cyclone, le Qatar fait l’objet ces dernières années de critiques pointant du doigt sa politique bienveillante envers les groupes sunnites radicaux, notamment Jabhat Al-Nousra, la branche syrienne d’Al-Qaida. Sur quoi reposent exactement ces accusations ?
Bien qu’elle même placée régulièrement sur la liste des suspects, l’Arabie saoudite a repris à son compte ce récit pour justifier l’embargo terrestre et aérien et les multiples sanctions mises en oeuvre contre son petit voisin.
Pour évaluer la juste pertinence de ces accusations, il faut d’abord rappeler que la cause fondatrice du chaos sur lequel s’est développée, en Irak, la première poussée djihadiste n’est autre que la militarisation de la diplomatie américaine survenue en réponse au 11-Septembre. Mais il ne faut pas moins éclairer ensuite les recoins du théâtre syrien qui a été, à partir de l’automne 2011, la seconde matrice de la nouvelle vague de radicalisation.
LA SYRIE, TERRE D’INCUBATION DE LA POUSSÉE RADICALE
Lancé dans la foulée des autres soulèvements arabes, le « printemps syrien » a, durant les six premiers mois, gardé une tonalité essentiellement pacifique. À partir de l’été 2011, la militarisation systématique par le régime de sa répression a conduit à la contre-militarisation d’une partie de son opposition. Dès l’hiver suivant, des pans entiers du territoire ont vu se développer des combats où artillerie lourde et aviation causaient des bilans effroyablement lourds. C’est dans le contexte de cette descente aux enfers que les pays du Golfe vont inscrire leur mobilisation.
Encouragées par leurs opinions et les milieux religieux de plus en plus sensibles à la brutalité de la répression, les pétromonarchies décident à l’été 2011 de rompre leurs relations avec Damas. Si le Qatar, dont l’émir achevait en 2011 la construction d’un monumental palais dans la banlieue de Damas et qui s’était activé en coulisses pour faire accepter à Bachar al-Assad l’option d’une prudente ouverture politique, abandonne un de ses précieux alliés, Riyad reste prudent jusqu’à la fin 2011, prônant aussi le compromis, mais voit ensuite d’un bon œil l’affaiblissement du plus puissant allié arabe de son rival iranien. Avec l’escalade de 2012, partout dans la péninsule, des voix s’élèvent pour donner aux coreligionnaires syriens les moyens de se libérer d’un pouvoir de plus en plus sanguinaire. En février 2012, le pas est officiellement franchi par le Premier ministre qatari Hamed Ben Jassem qui appelle sur Al-Jazira à des mesures concrètes pour « sauver le peuple syrien », parmi lesquelles il évoque directement « l’armement de l’opposition ».
Dès lors, le ralliement des sociétés du Golfe prend corps. (...)
Les factions rebelles n’ont alors pas encore été phagocytées par les organisations djihadistes qui demeurent largement embryonnaires.
Dans une conjoncture où il se voit assumer un leadership régional, le Qatar se démène sur plusieurs fronts pour porter le coup final à un régime qui paraît aux abois. À Doha, l’émir s’emploie à unifier sous une bannière commune les multiples composantes de l’opposition et décroche en novembre 2012 une victoire diplomatique avec la création sur son sol de la « Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution ». Un peu partout, il mobilise ses puissantes ONG humanitaires qui lèvent plusieurs dizaines de millions de dollars. (...)
C’est un an après le début du soulèvement de mars 2011 que la situation en Syrie vire au drame. Le calvaire que vit la population des zones contrôlées par l’opposition exacerbe peu à peu chez elle le sentiment de trahison de ses sponsors occidentaux et initie une irrésistible dynamique de désenchantement et de radicalisation. Au cours de l’année 2012, le centre de gravité de la rébellion se déplace ainsi en direction de Jabhat Al-Nosra qui commence à faire figure de meilleur rempart contre les violences d’un régime que l’Iran, la Russie et le Hezbollah ne cessent de renforcer. Et lorsqu’en décembre 2012, les États-Unis la classent sur la liste des organisations terroristes, cette décision est largement dénoncée par les forces de l’opposition, y compris dans sa composante laïque. (...)