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Le Qatar investit dans les terres agricoles‏
Article mis en ligne le 30 août 2013
dernière modification le 28 août 2013

Le Qatar achète des terres agricoles à l’étranger. Mais il transforme aussi cette démarche en arme diplomatique, à travers une Alliance mondiale des pays désertiques regroupant des pays dépourvus de terres arables.

Fortement dépendant des importations étrangères, le Qatar multiplie les initiatives pour assurer sa sécurité alimentaire. L’émirat compte bien faire de sa faiblesse sur le plan agricole, un atout d’influence sur la scène mondiale.

"Pétrole contre nourriture." Malgré les multiples affaires de corruption liées au célèbre programme des Nations unies à destination de l’Irak, l’idée semblait séduisante. En 1996, l’Onu avait accordé au régime de Saddam Hussein, soumis à un embargo international depuis l’invasion du Koweït en 1990, la possibilité de vendre un peu d’or noir en vue de financer ses besoins de première nécessité. Jusqu’en 2003, Bagdad troque donc barils de pétrole contre sacs de céréales, dans une espèce de marché gagnant-gagnant.

Un paradoxe dans ce pays de l’ancienne Mésopotamie, autrefois réputé pour ses terres fertiles... Le programme onusien a en réalité mis en lumière l’extrême vulnérabilité dont souffrent aujourd’hui les pays du Moyen-Orient en matière alimentaire. Handicapés par le manque d’eau - les pays du Golfe ne disposent par exemple que de 1200 m3 par personne et par an quand la moyenne est de 7000m3 ailleurs dans le monde - ils sont pour la plupart incapables de produire leur nourriture en quantité suffisante.

Obligé d’importer une large part des denrées alimentaires qu’il consomme, le monde arabe est devenu le plus grand acheteur de céréales du monde. (...)

Comme la plupart de ses voisins du Golfe, le petit émirat est dépendant à 90% des importations étrangères pour ses besoins alimentaires. Lucide sur ses faiblesses structurelles, l’émirat a rapidement pris conscience de l’importance du facteur alimentaire et de la menace qu’il représente pour sa stabilité intérieure.

Le plan " Vision 2030 ", qui expose les ambitions et les objectifs de Doha pour les deux prochaines décennies, met la sécurité alimentaire au centre de la stratégie de l’émirat. Le Cheikh Tamim - qui n’était encore que prince héritier - ne déclarait-il pas, en 2008 déjà, que la sécurité alimentaire était "le défi le plus pressant" auquel son pays était confronté ? Lancé cette même année, le Qatar National Food Security Programme mobilise depuis de nombreux experts internationaux. Son objectif est de devenir opérationnel en 2014.

Ce projet ambitieux vise à satisfaire 60 à 70 % des besoins alimentaires d’une population d’environ 1,7 millions d’habitants (dont 300 000 qataris) à partir de la production locale. En s’appuyant sur le développement de l’agriculture durable ou encore la multiplication d’usines de dessalement alimentées à l’énergie solaire pour faire face aux besoins d’eau.

"Land-grabbing" : cultiver à l’étranger pour bien manger chez soi (...)

Solution avantageuse, la conquête de terres au-delà des frontières traduit, pour Sébastien Abis, "la volonté du Qatar de construire sa sécurité alimentaire en produisant à l’étranger ce qu’il ne peut pas faire pousser localement faute de ressources en eau et en terre, se mettant ainsi à l’abri des aléas du marché."

Principalement déclenchée par la crise des prix alimentaires de 2007-2008, la ruée sur les terres est un phénomène en pleine expansion. Selon l’International Land coalition,qui regroupe différentes ONG et agences gouvernementales, cette forte demande mondiale "loin d’être un phénomène de courte durée, se poursuivra sans doute sur le long terme, même si la hausse considérable observée entre 2005 et 2008 devrait se stabiliser."

Lancée en 2008 par le fonds souverain du Qatar (QIA), la société Hassad Food - dotée d’un capital d’un milliard de dollars - est le bras armé de l’émirat dans sa campagne massive d’achats de terres. Propriétaire de treize grandes fermes en Australie (ovins et production de blé), de 100 000 hectares au Soudan ou encore de 40 000 hectares au Kenya, Hassad Food multiplie les investissements aux quatre coins du monde. "Je ne serai pas étonné qu’un jour le Qatar questionne la France pour savoir si une partie de ses champs de céréales ne pourraient pas être achetés ou loués par l’émirat !", prophétise Sébastien Abis.

L’Alliance mondiale des pays désertiques, nouveau "soft power" (...)

Lancée en grande pompe, le 9 mars 2012 à l’occasion du 1er Forum mondial pour la sécurité alimentaire à Rabat, l’Alliance mondiale des pays désertiques (AMPD) est l’instrument de la politique agricole extérieure de Doha. Ce partenariat a pour objectif la recherche de solutions permettant d’assurer la sécurité alimentaire de ses membres.

Avec la création de cette nouvelle organisation, le Qatar démontre une fois de plus son art du contre pied. La stratégie est claire : faire d’une faiblesse intérieure qu’il sait insurmontable, une force pour peser sur la scène alimentaire mondiale. (...)

En se posant comme la force motrice d’une coalition de pays démunis dans le secteur alimentaire, le Qatar fait d’une pierre deux coups. Non seulement il se saisit d’un problème qui le concerne au plus haut point mais il créé surtout l’opportunité d’augmenter son influence. (...)