
Un barrage imposé malgré des avis défavorables, une société civile opposée, des alternatives ignorées... ça vous rappelle quelque chose ? C’est sur la rivière Sémène, dans la Loire : Bouygues a construit avec l’argent public et l’appui des élus une retenue d’eau inutile et destructrice de la biodiversité.
En ce début de joli mois de mai, le remplissage du grand barrage le plus bête de France se termine. Les 1,5 millions de m3 d’eau de la retenue des Plats, sur la commune de St Genest Malifaux, reconstruite par l’entreprise Bouygues entre 2013 et 2014 sur la rivière Semène, dans la Loire, ont étouffé en quelques semaines les habitats d’espèces protégées telles que la loutre, le campagnol aquatique. Les centaines de jeunes pins sylvestres, bouleaux, saules, aulnes se noient lentement.
Le Syndicat des Barrages qui a imposé le réservoir n’a pas pris la peine de défricher le site, oubliant que la végétation pourrissante va émettre du méthane, puissant gaz à effet de serre. Mais le changement climatique, pas plus que la conservation de la biodiversité, des moules perlières, des truites farios, ne l’intéresse.
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Ce qui le préoccupe, officiellement, c’est de constituer « une indispensable réserve d’eau potable » pour ses communes adhérentes. C’est la nouvelle vocation qu’il a trouvée à une retenue édifiée pour la première fois en 1958 (...)
en 2006, l’ouvrage vieillissant, une voute mince élégante, a présenté des signes de faiblesse et l’Etat l’a fait percer. Il a ainsi, dans un des départements français qui a construit le plus de grands barrages au long de son histoire industrielle, « libéré la Semène », restituant l’entièreté de sa continuité écologique. Un cours d’eau libre de toute entrave depuis sa source jusqu’à son embouchure dans le grand barrage de Grangent, c’est un trésor national, à protéger et valoriser.
Et cela tombait bien : la Semène coule dans un territoire devenu en 1974 un des premiers Parc naturel régional de France, le PNR du Pilat. (...)
Partant de là, la société civile locale, regroupée depuis 1999 dans le Collectif Loire Amont Vivante (CLAV), a proposé dès 2007, dans l’esprit du Grenelle, une réflexion partagée avec Etat et élus autour de la gestion durable de l’eau sur la Loire amont, complétant les démarches initiées en intégrant l’opportunité de mesures de conservation ambitieuses pour la Semène. Le CLAV a proposé de mettre en œuvre, concrètement, les orientations de gestion durables d’aujourd’hui : interconnections, mutualisation, économies, valorisation des services écologiques gratuits rendus par des écosystèmes en bon état, toutes orientations économes en argent public, un atout en temps de disette financière. Le Collectif a également proposé de réfléchir à un nouveau modèle économique autour de cette « rivière joyau » et de son patrimoine naturel rare. (...)
Mais l’administration et les élus du Syndicat des Barrages ont refusé tout échange. L’Eau, c’était eux. L’Intérêt Général, c’était eux. La République, c’était eux. Exclusivement eux. (...)
M. Cineri a exercé, avec l’appui de son successeur à la mairie, M. Petit (PC) et le soutien têtu de l’Etat local, un lobby intensif pour faire reconstruire, aux frais du contribuable, une réserve d’eau potable alibi, puisque le territoire stéphanois est largement pourvu de ce bien essentiel grâce entre autres, à la présence d’un grand barrage sous utilisé, Lavalette, en Haute-Loire, d’une capacité de 40 millions de mètres cubes.
Les écologistes ont choisi le droit plutôt que l’affrontement – et ils ont perdu
Et M. Cineri a décroché la timbale de l’argent public en 2011, lorsque Mme Kosciusko-Morizet, ministre de l’Ecologie jusqu’alors opposée à la reconstruction, a publiquement adoubé le projet au cours, paradoxe, d’une virée dans le PNR du Pilat. Les services de l’Agence de l’Eau Loire Bretagne, de l’Onema, de la Dreal Rhône-Alpes, des Conseils généraux de la Loire et de la Haute-Loire avaient tous donné des avis négatifs. Mais, en France, avec des amis bien placés, tout se fait.
Ces institutions se sont vues obligées de financer, contre leur gré, 50 % des 8 millions d’euros de la reconstruction. En 2012, voyant se préciser la menace, le CLAV s’est posé la question de l’occupation non violente du site, du blocage du chantier. Il n’a pas choisi, comme à Sivens, Notre-Dame-des-Landes ou Roybon un affrontement, justifié, avec un Etat local indigent. Il a préféré l’action juridique, pour l’instant inefficace. Le bétonnage inutile et imposé est donc terminé. Fin de l’histoire ? (...)