
Dans Faut-il attendre la croissance ?, l’économiste Florence Jany-Catrice et la sociologue Dominique Méda posent successivement trois questions : Comment la croissance économique est-elle devenue l’une des préoccupations fondamentales de nos gouvernements ? A quelles limites la croissance est-elle désormais confrontée ? Et finalement, que disent les débats de ce que pourrait être un monde de progrès mais sans croissance ? Contraintes par le format de la collection Doc En Poche de passer rapidement sur certains points, elles parviennent à donner des réponses plutôt très satisfaisantes à ces trois questions, de sorte que le livre constitue une excellente introduction sur le sujet de l’avenir de la croissance, même si les pistes qu’il suggère pour finir peuvent laisser le lecteur sur sa faim.
La croissance économique
Les mesures modernes du revenu et de la production naissent après la crise de 1929, en lien avec la « Théorie générale » de Keynes qui met précisément au centre de ses démonstrations l’égalité fondamentale entre le revenu et la production sur laquelle va se fonder la comptabilité nationale. A la suite de quoi, le produit intérieur brut (PIB) ou plus exactement son taux de croissance « en volume » (en retraitant celui-ci de l’inflation) s’est imposé comme le principal indicateur pour mesurer la performance économique d’un pays.
Le travail de reconstitution de séries longues auquel s’est livré l’économiste britannique Angus Maddison a mis en évidence le niveau exceptionnel de la croissance réalisée entre 1950 et 1973, en particulier en Europe de l’Ouest et au Japon, y compris lorsqu’on la rapporte à l’accroissement de la population. Les évolutions du taux de croissance ont suscité d’importants travaux visant à en cerner les causes et à expliquer sa dynamique.
Le progrès technique, considéré tout d’abord comme exogène, c’est-à-dire sans lien direct avec l’activité économique, a par la suite été pensé en relation avec cette activité par les théories de la croissance endogène. Ces dernières ont conduit à porter ainsi une attention particulière, en premier lieu à l’investissement, mais également aux politiques économiques susceptibles de contribuer à l’amélioration du capital humain, du niveau d’éducation et des infrastructures collectives.
Parallèlement, les travaux des économistes néo-institutionnalistes (tels que D. North) ont mis l’accent sur le caractère déterminant pour la croissance des structures socio-institutionnelles, de la qualité des services et des administrations publiques, de la résistance à la corruption ou de la capacité du système juridique et réglementaire à protéger les droits de propriété, par exemple dans le processus de croissance. Les auteures passent sans doute un peu vite sur ces sujets pour aborder les questions que pose le ralentissement de la croissance.
La baisse de la productivité et les dégâts de la croissance
Car depuis 1973, les pays développés sont confrontés à un ralentissement, aussi bien de la croissance que du PIB par habitant, ou encore de la productivité par heure travaillée ; ralentissement de plus en plus marqué, qui alimente désormais la thèse d’une stagnation de long terme (R. Gordon…). Même si cette stagnation est combattue par ceux qui pronostiquent au contraire l’arrivée d’une nouvelle vague de progrès technique portée par les technologies de l’information et de la communication et par les progrès des nanotechnologies, des biotechnologies et de la génétique. (...)
Au plan social, l’effet présumé de la croissance en termes de réduction des inégalités ne se vérifie plus. Les inégalités économiques et sociales (au sein d’un même pays, car celles entre pays ont continué de se réduire) se sont en effet nettement accrues ces dernières décennies, remettant ainsi en cause l’idée que l’accroissement du capital ou des ressources économiques finit toujours, avec le temps, par bénéficier également aux plus pauvres.
Ces différents constats conduisent à reconsidérer les bénéfices que l’on peut attendre de la croissance. (...)
Renoncer à la croissance
Que pourrait alors être une société sans croissance ? La question se pose tout d’abord sous l’angle des perspectives d’emplois. On entend dire très souvent que sans croissance, il serait impossible de créer de l’emploi. Pour aller contre cette idée, les auteures plaident en faveur de la réduction et du partage du travail. (...)
travailler moins ne sera pas suffisant au regard de la nécessité d’engager nos pays le plus rapidement possible sur la voix de la reconversion écologique : cet impératif exige en effet de prévoir et d’organiser le transfert des personnes dont l’emploi serait menacé par cette reconversion vers d’autres emplois ; car même si l’on peut en attendre un effet positif sur l’emploi, il ne pourra pas être bénéfique pour tous.
Jean Gadrey, cité abondamment, évalue à plus d’un million de créations nettes d’emplois en quinze à vingt ans le potentiel d’une transition écologique à la hauteur des enjeux. La satisfaction des besoins sociaux non encore satisfaits constituerait une autre source d’emplois. Et tourner le dos à la poursuite effrénée de gains de productivité pour privilégier les gains de qualité et de durabilité permettrait de limiter également les suppressions de postes. (...)
Pour finir, les auteures en appellent alors, avec d’autres, à la constitution d’un mouvement social très large, puissant et, cependant, décentralisé, afin de peser sur le processus législatif et de soutenir le pouvoir exécutif dans l’introduction de ces changements. Pour être le plus efficace possible, ce mouvement aurait tout intérêt à prendre la forme d’une alliance entre salariés, consommateurs et associations écologiques autour de la qualité de l’emploi et des produits, qui viendrait se substituer à l’idée de croissance. (...)