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le Monde Diplomatique
Le carnaval de l’investigation
Ce que révèle l’« affaire Cahuzac », par Razmig Keucheyan et Pierre Rimbert, mai 2013
Article mis en ligne le 5 juin 2013

En avouant le 2 avril dernier détenir un compte occulte en Suisse, conformément aux conclusions d’une enquête publiée par Mediapart, l’ex-ministre français du budget Jérôme Cahuzac a élevé le site d’information au rang de justicier public. Hier sceptiques ou attentistes, ses confrères célèbrent ses vertus. Débordées ou confortées, des personnalités politiques lui rendent hommage. Hors des cercles du pouvoir, l’« affaire Cahuzac » suscite un mélange d’indignation et de jubilation, de colère contre la corruption et d’impuissance politique.

Quand s’enchaînent les suppressions d’emplois et les exhortations à l’« effort » pour ceux-là mêmes qui les subissent, qui ne se sentirait pas un peu vengé par la chute du ministre et par l’obstination de Mediapart à exposer ses turpitudes ?

« Subversivisme ». C’est ainsi qu’Antonio Gramsci qualifierait peut-être l’humeur politique qui monte en Europe à la faveur de la crise. Pour le penseur marxiste italien, ce terme désigne les formes de rébellion privées et inorganisées (1). Celles qui reposent sur un fort ressentiment à l’égard de l’Etat, déplorent ou moquent le spectacle donné par les puissants, mais intériorisent en même temps la position de subalternité. (...)

Quatre décennies après le Watergate, la dépolarisation idéologique rend douteux qu’un changement de majorité entraîne un changement de politique : l’horizon du journalisme d’investigation a rétréci. En cas de succès, il contribue à purger le régime ou, au mieux, l’incite à s’amender. Grâce à Mediapart, un ministre en a remplacé un autre. Le pavé dans la mare éclabousse, la question des paradis fiscaux se pose dans l’urgence ; puis une actualité chasse l’autre et tout redevient lisse. En 1996, l’enquêteur Denis Robert publiait un livre désenchanté sur les scandales politico-financiers qui secouaient la France depuis cinq ans : Pendant les “affaires”, les affaires continuent… (Stock). Malgré les lois de « moralisation » de la vie publique, la corruption continuait d’emprunter les canaux ouverts par la libéralisation financière : sociétés panaméennes, banques suisses, comptes luxembourgeois. « Rien ne change, sauf des noms et des visages. Les cartes se redistribuent, écrivait Denis Robert il y a dix-sept ans. Les journalistes dans mon genre ne seraient-ils pas de simples agents d’autorégulation ? »

La définition irriterait sans doute Edwy Plenel, qui voit dans l’investigation un moyen de renforcer la démocratie. Dans les jours qui ont suivi le dénouement de l’affaire, le fondateur de Mediapart s’est démultiplié devant micros et caméras au point de monopoliser l’image du site d’information, qui compte pourtant plusieurs dizaines de journalistes. (...)