
Sous les radars médiatiques, occupés par l’agitation bruyante des plus identitaires d’entre eux, de nombreux catholiques de France gardent un engagement au service des autres. Un prêtre, une élue, une philosophe et une responsable associative racontent leur action et leur vision du lien entre leur foi et la société.
Dans une société où le nombre de catholiques pratiquants diminue d’enquête en enquête, les saillies les plus visibles du catholicisme sont celles, venues de la droite la plus dure et de l’extrême droite, qui défendent la vision d’une civilisation chrétienne mise en danger par l’immigration et l’islam d’une part, attaquée par le « progressisme » sociétal de la gauche d’autre part.
À bas bruit, pourtant, un autre catholicisme français continue d’exister et d’agir au service des autres. C’est notamment le cas dans les territoires les plus populaires, où le tissu associatif, caritatif et politique est encore fortement imprégné des émanations du catholicisme, qu’il s’agisse d’organisations comme le Secours catholique ou d’individus engagés en leur nom, souvent sans cacher leur foi. (...)
À Saint-Denis, son image de « catho de gauche » la place dans les radars des responsables politiques locaux. Le maire communiste d’alors, Patrick Braouezec, la convainc en 1998 d’intégrer sa liste ; dix ans plus tard, elle est élue pour la première fois, chargée de la vie associative, des personnes âgées, de la mémoire puis de la solidarité. Un double ancrage qu’elle concilie au mieux : « Il y avait une différence de fond. Les communistes pensent qu’on va changer le monde avec l’homme seulement. Moi, je crois que Dieu nous donnera aussi cette force. Mais, sur les questions d’accueil, de partage et de solidarité, je n’ai pas trouvé mieux que le PCF. »
C’est son engagement pour les migrant·es qui l’anime comme un fil rouge. « J’ai beaucoup apprécié l’élection du pape François, je me retrouvais dans ce qu’il écrivait sur l’accueil, explique-t-elle. Quand on voit comment les Ukrainiens sont accueillis aujourd’hui… Ça m’énerve, cette différence, ces gens qui restent sur une tradition très fermée, européenne et blanche… Si on est sûr de sa foi, on chemine avec les gens et leurs différences. »
Elle retourne sur les bancs de l’université, passe un diplôme d’ethno-psychiatrie en écrivant sur un sujet qui lui parle : « Pratiques cliniques avec les familles migrantes ». Tente de bousculer, parfois, une Église un peu rétive à l’idée d’aller trop loin dans l’engagement. « Avec la pastorale des migrants, on devait faire valider nos communiqués par la hiérarchie de la Conférence des évêques, illustre-t-elle. Il fallait faire attention à tout. Individuellement, les évêques étaient d’accord pour héberger les migrants mais la politique était de ne pas en parler, de ne pas faire de vagues. »
« L’Église dépend de notre monde, poursuit Jaklin Pavilla. Il y a des gens, dans l’Église comme ailleurs, qui ont peur de se perdre, de se faire bouffer par ceux qui viennent d’ailleurs. Ils pensent que plus on sera ouverts, plus on perdra notre identité. » Quant à la frange la plus identitaire, elle la juge aussi audible que marginale. « C’est une minorité qui fait du bruit et qu’on entend, juge-t-elle. Nous, notre difficulté, c’est notre timidité. On a l’habitude de se taire. » (...)
Le curé vit, aux premières loges, les débats sociétaux et leurs conséquences. « Quand j’étais jeune prêtre, je m’occupais de la prison pour mineurs de Porcheville. J’y trouvais des jeunes fracturés dans leur identité, qui ne savaient pas trop où ils allaient. À Trappes, une des aventures non dites, c’est de recoudre les identités déchirées. » Seul moyen de réussir, à l’écouter, dans une ville qu’il reconnaît « pauvre et fragile ». « Le prêtre d’une ville voisine m’a dit : “Dans mon église, j’en ai cinq qui ne sont pas cadres.” Moi, c’est l’inverse », sourit-il. (...)
Le lien avec la communauté musulmane, dans une ville où elle est plus nombreuse, est aussi au centre de son action. « Dans notre école privée, par exemple, il y a une majorité de musulmans, raconte-t-il. C’est un vrai laboratoire de vivre-ensemble. » Les fidèles des deux religions se retrouvent régulièrement, encore début mars pour visiter l’Institut du monde arabe. « C’est ma responsabilité, pense Étienne Guillet. Ça peut paraître bête mais, ici, on demande aux chrétiens de connaître le prénom de tous les gamins de leur cage d’escalier. C’est anecdotique et important à la fois. »
Sa vision du catholicisme hérisse naturellement une partie de la communauté catholique. « Il n’y a aucun angélisme chez moi, répond le prêtre. Mais l’Église n’est pas un club. Notre unité doit être mise au service d’un rayonnement. Ma responsabilité, c’est aussi que Trappes tout entière aille bien. Une communauté meurt à petit feu si elle se replie sur son identité et son histoire. »
Une vision claire qui le pousse à balayer les débats internes à l’Église (...)
« Catholiques de gauche ou de droite, ça ne parle pas aux Trappistes. Ici, la question, c’est la fin de mois, la prière en famille, la façon d’aider nos frères. Pas la messe en latin. » Manière de dire que les bisbilles médiatisées autour de questions identitaires n’effleurent jamais son quotidien. « Le catholicisme populaire ne fait pas de bruit mais il agit, résume-t-il. Il ne manifeste pas, ne va pas sur les plateaux de télévision. À l’inverse, un catholicisme identitaire prend toute la lumière. »
À l’aube de l’élection présidentielle, Étienne Guillet rappelle que les dimanches d’élection, dans une ville comme Trappes, « les gens ont souvent pique-nique ». Une donnée qui ne l’empêche pas d’avoir un œil sur la campagne et sur la mise en avant à l’envi des « valeurs chrétiennes » par les candidats d’extrême droite, Éric Zemmour en tête. Sans nommer personne, le curé répond : « Je n’ai aucune envie d’assister à un rapt du catholicisme pour en garder le décorum. On ne peut pas garder le cadre sans les Évangiles. Ou alors il faut déchirer beaucoup de pages de la Bible. »
Quant au combat pour préserver la chrétienté, l’homme de foi n’y voit pas de pertinence. (...)
À 66 ans, Véronique Albanel a fait du développement de JRS le nouveau chapitre d’une vie aux multiples chapitres : une enfance aux quatre coins du monde dans le sillage d’un père industriel, Sciences Po puis l’ENA en France, quinze années passées comme juge administrative puis le retour sur les bancs de l’école, avec une maîtrise de théologie et un doctorat de philosophie. « Je voulais répondre à une question obsédante : comment l’Europe chrétienne a-t-elle pu laisser advenir la Shoah ? », explique-t-elle.
Les liens entre la religion et la politique sont devenus son objet d’étude et sa spécialité : elle les enseigne à Sciences Po, en a tiré une thèse de doctorat autour de la pensée d’Hannah Arendt et des publications régulières. Chrétienne revendiquée mais « laïque convaincue », elle s’avoue « défiante » à l’égard des religions et de leur « éternelle tentation de “commander en maître” », selon l’expression biblique, plutôt que de « servir ». (...)
. « Comment est-il possible, quand on lit la Bible, de considérer que le migrant, l’exilé, doit être expulsé de l’humanité ? Il y a là quelque chose d’incompatible », juge-t-elle, soulignant l’encouragement biblique à « l’accueil de l’étranger, la défense des “plus petits de mes frères” ou la dignité de toute personne humaine ».
Et la présidente de JRS France de poursuivre : « Je me réjouis de la pluralité de la religion. Nous avons, y compris en France, une grande habitude des schismes. La question est plutôt : peut-on vivre ensemble sans se faire la guerre ? Pouvons-nous sortir de cette stigmatisation réciproque, cette diabolisation de l’autre, qui nous empêche de nous parler ? » (...)