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Mediapart
Le cessez-le-feu de la Russie, une arme psychologique contre l’Ukraine
#cessezlefeu
Article mis en ligne le 8 janvier 2023

Vladimir Poutine a annoncé un « cessez-le-feu unilatéral » à l’occasion des festivités du Noël orthodoxe, les 6 et 7 janvier 2023. Rarement utilisé jusqu’ici en Ukraine, il s’agit pour la Russie d’un élément habituel de son arsenal, abondamment mis en œuvre en Syrie.

Le 9 septembre 2016, après plus de dix heures d’âpres négociations, le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov et son homologue américain, le secrétaire d’État John Kerry, parviennent à un accord sur un cessez-le-feu, élément d’un accord plus large permettant de progresser vers une trêve en Syrie. Las, une nouvelle fois, ce cessez-le-feu échoue après une série de frappes, dont un raid meurtrier mené par des appareils du régime syrien soutenus par des appareils russes, sur un convoi humanitaire qui utilisait justement l’un des corridors humanitaires ouverts par l’accord.

Le scepticisme des rebelles syriens et de certains de leurs soutiens face à l’accord, par lequel les Américains court-circuitaient une réunion des soutiens des rebelles syriens organisée à Londres au même moment, se justifiait.

En réalité, ce cessez-le-feu négocié par la Russie n’avait qu’un seul but : permettre aux forces du régime et à ses alliés (et particulièrement les milices iraniennes de la force Al-Qods du corps des gardiens de la révolution islamique) de se redéployer et de renforcer le contrôle des larges portions de territoire reprises aux rebelles au sud et à l’est d’Alep. (...)

les régimes d’Assad et de Poutine ont très tôt compris l’intérêt tactique d’un cessez-le-feu face à un ennemi matraqué par des bombardements aveugles dont le but principal est de terroriser la population. (...)

Outre leurs effets opérationnels (repos des hommes, reconstitution des stocks de munitions, transfert d’unités…), les cessez-le-feu ont aussi des effets psychologiques et informationnels.

Un cessez-le-feu démoralise l’ennemi (...)

On a pu le constater par exemple lors du siège d’Alep, mais aussi à Homs où, entre septembre 2015 et septembre 2016, la stratégie déployée par la Russie et ses alliés a alterné massacres de civils par des bombardements qui les visaient sciemment, et cessez-le-feu locaux, jusqu’à ce que les groupes rebelles acceptent d’évacuer les zones tenues, et de partir vers la dernière enclave rebelle d’Idlib.

L’effet psychologique sur l’ennemi d’un cessez-le-feu, souvent partiellement ou brièvement respecté, est renforcé s’il est précédé de frappes aveugles tuant volontairement les civils.

Il s’agit de désorienter les combattants et de briser leur volonté de se battre et de risquer leur vie dans une lutte qui perd son sens, en offrant au moins un répit, puis en le retirant immédiatement, par exemple en ne respectant pas un cessez-le-feu unilatéralement décidé.

L’incertitude dans laquelle l’ennemi est tenu permet ainsi de le démotiver, mais aussi de garder l’initiative. (...)

De même, relevons que juste avant le cessez-le-feu décrété cette semaine par Vladimir Poutine, les bombardements russes sur les civils ukrainiens à l’arrière du front ont augmenté, occasionnant un lourd bilan puisque pour la seule journée du 5 janvier 2023 (...)

Un cessez-le-feu décrédibilise l’ennemi

Dans une guerre informationnelle, chaque annonce doit être vue comme une arme utilisée pour obtenir un effet. Lorsque Moscou annonce unilatéralement un cessez-le-feu sur toute l’Ukraine, il tend un piège au gouvernement ukrainien. Soit le gouvernement ukrainien l’accepte et ordonne une pause dans les opérations, offrant un répit à l’armée russe pour consolider ses forces et se préparer à l’arrivée du froid (gel et neige) annoncée pour la semaine prochaine. Cela renforce l’effet psychologique de démoralisation exposé ci-dessus. Soit Kyiv refuse et alors la propagande prorusse aura beau jeu d’exploiter une position belliciste, « va-t-en-guerre ».

Face à un cessez-le-feu unilatéral utilisé comme le font les Russes, il n’y a que des mauvais choix possibles. (...)

Ce piège a déjà été tendu aux Syriens, et en y cédant, ils ont contribué à leur défaite. La réaction des Ukrainiens montre qu’ils en ont conscience puisqu’ils l’ont rejeté en parlant de « tromperie », mais la redoutable efficacité de l’arme du cessez-le-feu est que même si l’on en a conscience, on ne peut facilement l’empêcher de produire ses effets.

Il est donc indispensable de ne pas tomber dans le piège et de refuser de donner le moindre crédit à une mesure purement informationnelle, qui n’a été accompagnée d’aucune pause préalable.

On remarquera d’ailleurs que lors des festivités de Noël et du Nouvel An, aux dates où elles sont célébrées en Ukraine, la Russie n’a fait montre d’aucune mansuétude particulière, bien au contraire, puisqu’elle a même augmenté la récurrence de ses frappes stratégiques contre les villes et les infrastructures, dont nous avions déjà dénoncé le caractère criminel.

Comme le disait hier un combattant sur le terrain avec lequel nous avons échangé, « si les Russes veulent sincèrement fêter Noël, qu’ils rentrent chez eux pour le faire avec leurs familles ».