
Dans la présentation de l’ouvrage « École ouverte » que Jean-Michel Blanquer publie à cette rentrée scolaire, il explique que l’épidémie de Covid a constitué une période historique où « s’est joué le choix entre une École vue comme notre institution fondamentale ou comme la variable d’ajustement de nos peurs ».
Curieux dilemme que de résumer la situation entre ceux qui auraient défendu la nature fondamentale de l’institution scolaire et ceux qui l’auraient instrumentalisée pour conjurer leurs peurs.
Rappelons tout d’abord que, dans sa quasi-unanimité, l’expression syndicale et associative n’a jamais revendiqué la fermeture des écoles et a, bien au contraire, affirmé la nécessité de continuité du service public, notamment parce qu’elle avait pleinement conscience que la fermeture des classes ou des écoles avait des conséquences profondément inégalitaires dont pâtiraient avant tout les enfants des classes populaires. Leurs revendications ont été, justement, de pouvoir obtenir les mesures sanitaires les mieux appropriées pour garantir à la fois l’ouverture et la protection des personnels comme des élèves et de leurs parents. Défendre cet équilibre ne relève pas d’un renoncement aux valeurs pour concéder à l’ajustement du système à nos peurs. Pourtant la formulation binaire exprimée par Jean-Michel Blanquer insinue une opposition entre la vertu courageuse de sa politique et la lâcheté de ses détracteurs, envahis par leurs peurs au point d’y sacrifier l’institution scolaire.
La réalité de ces vingt derniers mois a été bien différente. Elle témoigne au contraire d’une volonté collective des fonctionnaires de l’Education nationale qui ne doit rien au « mérite » du ministre. Lors de la fermeture liée au premier confinement, alors que l’imprévision politique rendait impossible l’accès aux masques de protection et que, de ce fait, le discours institutionnel voulait persuader les enseignants que leur usage était inutile… malgré leurs peurs, les personnels de l’Éducation nationale ont permis l’accueil des enfants de soignants. Lors de la reprise de mai 2020, alors que « les gestes barrières » étaient loin de pouvoir être assurés raisonnablement, ils et elles ont repris leur travail pour accueillir leurs élèves. Et tout au long de l’année scolaire 2020-2021, malgré des consignes changeantes et parfois inapplicables, ils et elles ont permis la continuité du service public d’éducation.
Oui, ils et elles ont eu peur… mais cette peur ne les a jamais conduits à renoncer à leur mission de service public. Elle les a mis en colère quand notre institution répétait contre tous les avis médicaux et scientifiques qu’il n’y avait pas de risques de contagion dans les écoles et qu’ils vivaient la contamination au quotidien. (...)
Vouloir expliquer, aujourd’hui, aux fonctionnaires de l’Education nationale que nous devons à la volonté ministérielle que l’école française soit restée ouverte est une gageure vaine parce qu’ils et elles savent que c’est le résultat de leur engagement quotidien et de son enracinement dans les valeurs d’une école émancipatrice, désireuse malgré les difficultés de réaliser son projet égalitaire.
Ils ne demandent pas à être considérés comme des héroïnes et des héros… mais seulement à être reconnus par le respect de leur travail et sa juste rémunération. Et puisque notre ministre veut être le vecteur d’une « bascule historique », ce n’est par une hagiographie ministérielle qu’il la réalisera mais par le choix d’une politique qui donnerait à l’École les moyens nécessaires à la réussite de tous ses élèves. Nous en sommes très loin … Pourtant, c’est cela qui lui permettrait d’« écrire École avec une majuscule en tant que référence centrale de notre existence collective ».