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Le coût de nos privilèges
Article mis en ligne le 16 mai 2017

Mercredi 10 mai comparaissait devant le tribunal correctionnel de Toulouse un mineur isolé étranger accusé « d’escroquerie à l’aide sociale à l’enfance ».

Rappel des faits

Juin 2015, Hamidou a 15 ans et arrive seul en France après avoir fui le Mali.

Suite à une évaluation socio-éducative et à l’examen de ses documents d’identité par la Police Aux Frontières (PAF), sa minorité est reconnue par le conseil départemental, la juge des enfants, le juge des tutelles ainsi que le parquet des enfants qui demande le placement.

La mesure est prise en urgence le 4 juin 2015, et l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) lui trouve un foyer. Il intègre une classe de cinquième.

Deux ans plus tard, il souhaite commencer un apprentissage. Il entreprend les démarches auprès des services préfectoraux qui relèvent ses empreintes. Elles sont identifiées par le fichier Eurodac, la base de données européenne chargée de ficher les migrant-es.

Début 2015, Hamidou était en effet intercepté à Ceuta par les autorités espagnoles. Afin d’avoir une chance d’être transféré sur la péninsule et de poursuivre son parcours migratoire, il donnait une identité de majeur.

La Police Aux Frontières le convoque sur dénonciation de la préfecture. Il présente son acte de naissance, authentifié par les autorités maliennes, ainsi que son passeport, constitué en France avec l’aide de ses éducateurs auprès du consulat du Mali.

On accompagne Hamidou au CHU de Purpan où des tests osseux sont réalisés en violation des textes de loi stipulant que les autorités judiciaires ne peuvent avoir recours au test osseux qu’en cas d’absence de documents d’identité valables. (...)

Après 24h de garde à vue, le parquet décide d’en faire un exemple à l’attention de tou-tes les mineur-es isolé-es de Haute Garonne qui se battent pour faire reconnaître leurs droits : Hamidou est envoyé à la maison d’arrêt de Seysses en vue d’une comparution immédiate pour « escroquerie à l’aide sociale à l’enfance. »

Lors de son audience trois jours plus tard, le procureur assume la motivation politique de ces poursuites. S’appuyant sur un article lu dans « Le Figaro », il éructe : « Les mineurs isolés étrangers sont un véritable poids pour notre société. Ils prennent la place de nos mineurs ! » (...)

le place sous contrôle judiciaire [5].

Comparution immédiate du 10 mai

Un mois et un communiqué du Syndicat des Avocat-es de France plus tard, Hamidou est appelé à la barre. Le juge prévient : on va faire vite. Pas plus qu’en 2015, la PAF n’a été en mesure d’invalider les documents d’identité du jeune malien. « N’a été en mesure », ce sont les mots du procureur.

Le procureur reconnaît par ailleurs avoir reçu une lettre d’observations du Défenseur Des Droits, saisi par l’avocate d’Hamidou. Sur sept pages, Jacques Toubon dresse la liste des violations des droits de l’enfant dont se rend coupable le parquet de la Haute Garonne [6].

On comprend que le tribunal s’apprête à prononcer la relaxe [7].

La décence la plus élémentaire aurait voulu qu’après un tel fiasco, les magistrats rasent les murs. C’est se tromper profondément sur la nature de l’institution judiciaire.

Le juge donne le ton : « Vous êtes protégé sous quelle identité ? » Il sourit. Il sait que le jeune malien n’a pas saisi qu’il allait être relaxé. Et si la loi aujourd’hui doit le contraindre à prononcer cette relaxe, personne ne l’a encore fait descendre de l’estrade pour retirer sa robe. Il poursuit : « Casier judiciaire vierge... Pour l’instant ».

« Comment avez-vous obtenu votre passeport ? » Hamidou, qui avait répondu en français aux questions les plus simples, se tourne vers son interprète. Le juge le coupe et s’amuse : « Ah, quand les questions deviennent embarrassantes, on passe au... » Il ne connait pas le nom de cette langue et, vraiment, il ne dissimule pas que rien au monde ne lui importe moins. (...)

Il est des échanges que les mots peinent à rapporter. Il faut se figurer un homme blanc et bien portant qui regarde un enfant noir. Cet enfant a traversé la mer, a vu mourir des frères, a fait un trait sur son pays, ses amis, sa mère et son père. En France, il a connu la garde à vue et la prison. L’homme blanc, bien portant, riche de siècles d’esclavage et de colonialisme, regarde cet enfant noir droit dans les yeux et lui dit : « Vous avez beaucoup de chance ». (...)

A l’heure où tombent les bombes et montent les mers, combien d’années, combien d’heures pourra-t-on encore passer, grâce à eux, assis devant nos téléviseurs, le dimanche en famille, la porte fermée à double tour, loin du bruit que font les pauvres quand on les noie ?

Hamidou est relaxé, mais Hamidou pleure. Peut-être un jour est-il monté sur un Zodiac dont le réservoir était à moitié vide. Sans doute a-t-il été soumis aux travaux forcés à un moment de son périple. Sûrement ne vaut-il mieux pas savoir ce qu’il a enduré pour survivre jusqu’à nous.

Mais aujourd’hui, au tribunal correctionnel de la Toulouse, un homme qui n’a jamais eu le ventre vide, dont les ancêtres ont colonisé ses ancêtres, lui a dit qu’il avait de la chance. (...)