L’économiste Anne-Laure Delatte et le politiste Benjamin Lemoine critiquent, dans une tribune au « Monde », le choix gouvernemental d’appliquer un « verrou budgétaire » quand l’investissement public est plus que nécessaire.
Tribune. L’histoire longue des dettes publiques nous enseigne qu’il existe une panoplie de mesures pour faire face à un surcroît de dette : restructurer, imposer le patrimoine, faire de la répression financière, laisser courir l’inflation. Il n’existe pas de critère simple pour identifier la meilleure méthode, car aucune option n’est neutre. Chacune crée des gagnants et des perdants. Les finances publiques deviennent alors l’objet de luttes sociales, et l’Etat a le rôle essentiel d’arbitre. (...)
C’est une nouvelle fois ce qui se joue aujourd’hui en France. Malheureusement, l’arbitrage est opéré dans l’opacité d’une « commission sur l’avenir des finances publiques » installée le 4 décembre, prétendument apolitique alors qu’elle est présidée par Jean Arthuis, ancien ministre des finances (1995-1997) d’Alain Juppé et tenant de la « rigueur » budgétaire. Le gouvernement prévoit en effet de « cantonner » la partie de la dette publique liée à la crise pandémique en affectant une ressource fiscale dédiée à son remboursement. La logique politique du cantonnement ne vise donc pas à effacer une partie de la dette, mais au contraire à la rendre visible et à afficher publiquement une volonté de la rembourser. Cet outil a déjà été utilisé par Poincaré en 1926, Chirac en 1986 et Juppé en 1996.
Le cantonnement n’est pas une simple opération cosmétique. C’est une décision qui engage les finances publiques dans une logique disciplinaire articulant impôts injustes et baisse des dépenses publiques, aggravant les inégalités. Enfin, c’est une solution conservatrice qui restreint le champ des négociations sur la dette au niveau européen.
On ne prête qu’aux riches (...)
« La croissance, la maîtrise de nos finances publiques et les réformes structurelles permettront de rembourser [la dette] », affirmait le ministre des finances, Bruno Le Maire, en septembre 2020. Un simple calcul indique en réalité qu’une croissance de 1,5 % par an permettrait de baisser le stock de dette à 100 % du PIB en… 248 ans. La décision d’amortir la dette fait donc peser tout le poids sur « la maîtrise de nos finances publiques », au risque de l’impréparation face aux menaces futures. (...)