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Le delta du Niger : un terrain de jeu pour les compagnies pétrolières, un désastre écologique pour les populations
Article mis en ligne le 9 novembre 2014
dernière modification le 5 novembre 2014

Le Nigeria est l’un des principaux terrains d’action des multinationales pétrolières occidentales. Leurs activités y ont entraîné un désastre environnemental de grande ampleur, qui laisse les communautés locales de plus en plus dépourvues de moyens de subsistance, et provoquent régulièrement des explosions de violences.

Les opérations de Total dans le territoire du peuple Egi ne semblent pas déroger à la règle. Si le géant français vante ses relations « cordiales » avec les populations environnantes, les témoignages recueillis sur le terrain racontent une toute autre histoire.

Tout a commencé par une « explosion souterraine, accompagnée d’un incendie sous la terre ». Ces événements ont été suivis d’« éruptions de gaz très explosives ». Une éruption « si forte que la pression a transporté la boue jusqu’à la hauteur d’un très grand palmier. » Et le premier jour de cette catastrophe « les gens fuyaient pour s’abriter, car le gaz sortait de terre mélangé à la boue, en faisant d’énormes trous. » « Même dans mon champ de manioc, les feuilles sont toutes devenues anormales. Celles que nous avons réussi à récolter ne sont pas assez bonnes, et nous avons peur de les consommer », témoigne un paysan. (...)

Au bout de deux ans, aucune solution miracle n’a été trouvée par les ingénieurs de Total. Les panneaux conseillant aux habitants de ne pas utiliser leurs téléphones, de ne pas faire de feu, de ne pas conduire de motos, sont toujours en place, selon les constatations l’ONG nigériane Environmental Rights Action (ERA) en octobre 2014. Le « bruit montant et descendant des éruptions de gaz, semblable à celui que font les vagues de l’océan » continue d’effrayer. Sans oublier « l’importante présence policière ». Ce que Total ne se permettrait jamais en Europe ou en Amérique du Nord, la multinationale se l’autorise allègrement en Afrique de l’Ouest. Pour ces raisons, l’entreprise se trouve aujourd’hui nominée, sur proposition de l’ERA, de Sherpa et des Amis de la terre France, au prix Pinocchio décerné à « l’entreprise ayant mené la politique la plus agressive en terme d’appropriation, de surexploitation ou de destruction des ressources naturelles ».

Des communautés sans recours face aux multinationales (...)

Le sort du peuple Egi reflète celui de nombreuses autres communautés de la région du delta du Niger. Les grandes multinationales pétrolières occidentales – Shell, BP, ExxonMobil, Chevron, ENI, Total… – se sont installées depuis les années 1960 dans cette vaste zone humide riche en hydrocarbures. Alors qu’il ne représente que 7% du territoire du Nigeria, le delta du Niger abrite plus de trente millions de personnes, réparties en une mosaïque d’ethnies. Des communautés condamnées à une coexistence forcée avec l’industrie pétrolière et gazière. 10 000 kilomètres de pipelines – souvent anciens et mal entretenus–sillonnent la région. De nombreux rapports d’ONG ou d’organisations internationales comme le Programme des Nations unies pour l’environnement ont révélé l’ampleur de la pollution pétrolière qui sévit dans le delta du Niger, et le peu d’empressement des multinationales pour nettoyer les dégâts occasionnés directement ou indirectement par leurs activités [2]. (...)

Le torchage du gaz constitue une bonne illustration de l’atmosphère de non-droit qui règne autour des activités pétrolières et gazières au Nigeria. Elle est légalement interdite au Nigeria depuis 1984, mais les multinationales pétrolières et gazières continuent à y recourir. (...)

Autre enjeu, celui des terres et des ressources naturelles dont ces communautés dépendent pour leur subsistance. Celles qui ne sont pas rendues inutilisables par la pollution quotidienne et les accidents sont peu à peu grignotées pour les besoins des multinationales. Le gouvernement nigérian a mis en place une législation facilitant l’expropriation des paysans au bénéfice des opérateurs pétroliers, avec des obligations de compensation très limitées. Dans le territoire du peuple Egi, Total a engagé en 2006 un processus d’acquisition de nouvelles terres pour étendre son usine locale provoquant un mouvement de protestation qui a dégénéré en violences [6]. Dans d’autres cas, Total est accusée d’avoir délibérément ignoré les propriétaires traditionnels, s’accaparant leurs terres comme s’ils n’existaient pas ou comme si elles appartenaient à d’autres. Les éruptions de gaz de 2012 sont attribuées par beaucoup de riverains à l’usage mal contrôlé par Total d’une technique de forage horizontal, mise en œuvre pour opérer « sous » de nouveaux terrains sans avoir à compenser leurs propriétaires. (...)

Pour les Amis de la terre, derrière les programmes de responsabilité sociale affichés par Total en pays Egi se cache en réalité une stratégie consistant à « diviser pour régner », prenant le risque d’aggraver les tensions au sein des communautés pour dissimuler les conflits fonciers et les pollutions. Il est des circonstances où des réponses partielles et partiales, qui ne remettent pas en cause les fondements même du système – en l’occurrence l’absence d’état de droit –, ne font qu’aggraver les problèmes. La situation actuelle dans le delta du Niger semble bien être de celles-là.