
Depuis quelques années maintenant mais avec une accélération certaine depuis la présidentielle de 2012, la presse pratique le « fact-checking ». Il s’agit pour les journalistes de vérifier les faits, notamment à partir des déclarations des élus et candidats aux différentes élections. Disons-le d’emblée : Acrimed considère que cette pratique peut être saine et féconde pour le journalisme tel que nous le défendons. Il ne sera donc pas ici question de contester le principe du fact-checking, mais de pointer quelques limites dans son usage. Car si l’exercice n’est pas nouveau, sa constitution en genre et en rubrique particulière est plus récente, au point que cette pratique, victime de son succès, a parfois été dévoyée pour devenir dans certains cas une pratique inutile, voire contre-productive. Explications.
(...) un des écueils qu’affronte tout « fact-checking » : présenter les faits, oui, mais lesquels ? Car les pratiquants et promoteurs du « fact-checking » tendent parfois à sacraliser « les faits » en leur donnant le pouvoir de trancher n’importe quelle polémique, n’importe quel débat. (...)
Des faits… et de leur utilisation
Vérifier certains faits pour apprécier le débat public… ou vérifier les faits simplement parce qu’ils sont vérifiables ? La question mérite d’être posée puisque les trois exemples ci-dessus ont un point commun : les faits ne permettent pas mécaniquement, simplement parce que ce sont des « faits », de « vérifier » une argumentation. C’est ici qu’il convient de discuter les faits choisis dans la pratique journalistique du « fact-checking » : il ne s’agit pas toujours de vérifier certains faits parce qu’ils sont de bons outils pour apprécier un argumentaire ou une pensée, mais ces faits sont parfois vérifiés… simplement parce qu’ils sont vérifiables et dès lors qu’ils le sont.
Comment en est-on arrivés là ? Rapidement devenu victime de son succès, le « fact-checking » est en réalité devenu un genre quasi-autonome dans certains médias : équipe dédiée, chronique quotidienne, rubrique hebdomadaire, etc. In fine, puisqu’une case est à remplir, il fallait vérifier à tout-va. Et dans l’urgence, souvent, seules les données les plus rapidement vérifiables sont analysées. Résultat : une vérification industrielle de « faits », mais une production parfois famélique d’informations.
Cette logique n’est d’ailleurs pas proprement française : aux États-Unis, le célèbre site d’informations politiques « Politifact », récipiendaire du prix Pulitzer en 2009, s’est mis à fact checker n’importe quoi suite au succès de ses rubriques « Mensonge de l’année » et « Pants on fire ». Même succès, même dévoiement. (...)