
La Chine, arrivée sur le tard en Antarctique, s’active pour investir cette zone à l’importance géopolitique capitale. La science est un bon moyen d’avancer ses pions.
Occuper le terrain à tout prix grâce à la science, au commerce, à la politique, la prospective ou même l’armée... Telle est la stratégie de la Chine en Antarctique. Elle n’a pas chômé, ces vingt dernières années, ce qui montre que le pays a très envie de retourner la table de l’ordre établi par le Traité de l’Antarctique — un accord mondial qui préserve le continent d’une potentielle exploitation minière jusqu’en 2048.
Fin octobre, sur le port de Shanghai, le Dragon des neiges II appareillait sous les vivats de la foule. À bord du brise-glace géant, 255 chercheurs voguaient vers la trente-neuvième expédition scientifique chinoise sur le continent antarctique. L’Antarctique est une terre réservée à la science et la paix ? Allons y faire de la science ! La Chine est arrivée sur le tard sur le continent. En 1985, elle implantait sa première base scientifique permanente, Grande muraille. Trois autres bases ont depuis été construites : Zhongshan (1989), Kunlun (2009), et Taishan (2014). Une cinquième station sera bientôt inaugurée, elle permettra d’accueillir 80 personnes en été et 30 en hiver. La Chine est la troisième nation la plus dépensière au monde en termes de financements publics pour la recherche scientifique en Antarctique. Concrètement, cela se traduit par environ 600 chercheurs répartis sur les cinq stations.
Pour cette cinquième base permanente, les autorités chinoises ont jeté leur dévolu, dès 2013, sur l’île Inexpressible, dans la mer de Ross. Une zone infernale où soufflent des vents féroces qui compliquent toute recherche de terrain. Son implantation illustre à merveille la philosophie de l’empire du Milieu vis-à-vis de l’Antarctique. « La Chine a engagé la construction de cette base avant de soumettre l’étude environnementale aux autres nations. C’est la première fois qu’un pays agit de la sorte », explique à Reporterre Jean-Michel Valantin. Chercheur au Centre interdisciplinaire de recherches sur la paix et d’études stratégiques, il est aussi auteur de L’aigle, le dragon et la crise planétaire (Seuil, 2020), un ouvrage sur les conflits sino-américains. (...)
Avec cette cinquième station construite aux forceps, la Chine passe devant les États-Unis et montre au monde à quel point ce bout de terre l’intéresse.
La science est un bon motif pour avancer ses pions. Coordonnées par le Polar Research Institute of China, les publications académiques chinoises ont fait un « bond extraordinaire » ces dernières années, selon les mots d’Yves Frénot, ancien directeur de l’Institut polaire français. D’une dizaine de projets en 1988, les autorités chinoises en financent désormais plus de quarante pour plusieurs millions de dollars. (...)
Tous les domaines sont concernés : géologie, météorologie, biodiversité, biologie marine, changements climatiques… (...)
Tous les domaines sont concernés : géologie, météorologie, biodiversité, biologie marine, changements climatiques… (...)
Il n’y a pas que des scientifiques chinois qui sont présents sur le continent. Dans les années 2000, de nombreux bateaux battant pavillon chinois y pêchaient illégalement — la pêche est néanmoins légale (mais encadrée) dans les eaux australes. Voilà pourquoi la Nouvelle-Zélande et l’Australie ont lourdement insisté pour que la Chine intègre la Convention sur la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR). Aujourd’hui, le pays détient l’une des plus grandes flottes de bateaux dans l’océan austral. Mais surtout, d’un droit de véto qui bloque toute avancée pour mieux protéger les ressources. (...)
Pire, quelques jours après le début de la réunion d’octobre, la société chinoise Fujian Zhengguan Fishery Development Co. annonçait la construction du plus gros navire-usine de pêche au krill (un petit crustacé), équipé d’une pompe aspirante. Trois bateaux identiques sont en cours de construction, et quatre déjà opérationnels.
Contrôler le couloir reliant l’Amérique du Sud à l’Australie via l’Afrique est capital (...)
Les activités militaires dites « offensives » sont interdites sur le continent blanc, mais pas celles d’observation et de renseignement. Voilà pourquoi il sert de pilier à la stratégie spatiale chinoise. Là encore, l’objectif est ambigu tant les technologies civiles utilisées pour la recherche trouvent de nombreuses applications militaires. (...)
L’usage de l’Antarctique à des fins spatiales inquiète de nombreux observateurs pour lesquels la science chinoise en Antarctique n’est que le nez creux d’une future implantation militaire. Fort de ses quarante-neuf satellites en orbite, BeiDou est un système dual, c’est-à-dire civil et militaire. Comme il sert pour la navigation aérienne, spatiale et maritime, il peut donc parfaitement surveiller ou soutenir des systèmes d’armements aériens et spatiaux. La Chine s’est aussi dotée de télescopes infrarouges capables de détecter les satellites ennemis, les drones et les lancements de missiles. Dans le média The Diplomat, deux chercheurs comparent la rhétorique gouvernementale spatiale chinoise et sa stratégie en Antarctique. Pour les auteurs de l’article « le ciblage des bases antarctiques pourrait être une réalité dans un conflit à venir même si le conflit n’est pas sur le continent ». D’après eux, la présence de la Chine en Antarctique affectera la sécurité internationale à moyen ou long terme, puisque le pays est présent dans tous les domaines comme le tourisme commercial, le transport maritime, la bioprospection ou les actions militaires non déclarées. (...)