
L’usage des pesticides augmente en France mais la réglementation protégeant les points d’eau s’affaiblit. En cause un arrêté ministériel flou, une définition des cours d’eau ambiguë et des pressions du lobby agricole. Des associations environnementales ont choisi le terrain juridique pour protéger les écosystèmes aquatiques.
Après des mois de tergiversation, le gouvernement a enfin pris un arrêté pour limiter les épandages de produits phytosanitaires près des habitation. Les riverains devraient être mieux protégés face aux pesticides. Mais qu’en est-il de l’eau que nous buvons ? À l’origine, notre loi sauvegarde les rivières, canaux et autres lacs des contaminations en interdisant à leurs abords tout versement de substances biocides. C’est ce qu’on appelle les « zones de non-traitement » (ZNT). Mais depuis quelques années, le lobby agricole pousse de tous les côtés afin d’affaiblir cette législation, qu’il juge complexe et contre-productive.
Comme Reporterre l’avait raconté, la FNSEA — le syndicat agricole majoritaire — et ses alliés ont d’abord choisi d’attaquer la définition même d’une rivière. Car, sans le statut protecteur de « cours d’eau », un écoulement se retrouve hors des radars des lois encadrant les pratiques agricoles et limitant les travaux de calibrage, les constructions et autres barrages hydrauliques).
Dans les faits, une partie de la profession agricole a exigé — et obtenu — une cartographie hydrographique, département par département, se fondant sur une définition au rabais d’un cours d’eau, excluant d’innombrables ruisselets mais également des canaux pluriséculaires, comme dans le marais poitevin. À force de pression, des centaines de kilomètres d’écoulements ont été purement et simplement gommés. (...)
. D’après l’association environnementale, le préfet du Tarn-et-Garonne a ainsi fait disparaître des cartes 30 % des aires préalablement protégées, celui d’Indre-et-Loire a lui rayé 43 % de ces zones.
Outre nos fameuses cartographies, il existe en effet un autre outil précieux pour référencer les points d’eau : les cartes IGN au 1 : 25.000, qui identifient tous les éléments du réseau hydrographique en bleu, mais ne sont pas toujours à jour. « L’idéal est donc de prendre en compte ces deux référentiels, qui se complètent bien », précise Benjamin Hogommat, également juriste à France Nature Environnement, dans les Pays de la Loire. Sauf que les préfets ont eu tendance à ne considérer qu’une des deux cartographies. (...)
« Dans les départements où le monde agricole représente un lobby et exerce une pression sociale forte, les cartographies adoptées ont réduit drastiquement le linéaire protégé », conclut Rémy Arsento, agent de l’Office français de la biodiversité et syndiqué au SNE-FSU. (...)
Dans l’Aude, le préfet a ainsi pris un arrêté en juillet 2017 : il a retenu la cartographie « police de l’eau » comme référence, qui ne prend notamment pas en compte les nombreux canaux qui parcourent la plaine viticole. Ainsi, d’après l’analyse transmise par FNE Languedoc-Roussillon, sur les 6.412 km d’écoulements recensés par l’IGN dans le vignoble audois, plus de la moitié — 55 % — « ne sont pas identifiés comme cours d’eau », dans la cartographie rendue officielle. Par conséquent, seuls 2 % des surfaces agricoles sont actuellement en surface de non-traitement, contre 5 % si le préfet s’était fondé sur la carte IGN. (...)
Les canaux ne sont pas des cours d’eau, direz-vous ! Certes, mais ils sont connectés au reste du réseau hydrographique. Et les pesticides ignorent les frontières juridiques (...)
dans près de la moitié des départements, les décisions préfectorales ont engendré, selon l’ONG environnementale, une situation de « régression » de la protection des écosystèmes. (...)
C’est d’ailleurs ce qu’a reconnu le Conseil d’État dans une décision du 26 juin 2019. En s’appuyant sur « le principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante », les juges ont ainsi estimé que « les dispositions [des arrêtés] ne peuvent être regardées comme conduisant, par elles-mêmes, à une protection moindre de l’environnement ». D’après eux, l’affaire est donc entendue : les points d’eau à protéger sont ceux de la cartographie « police de l’eau » ET des cartes IGN.
Grâce à ce coup de pouce du Conseil d’État, les associations environnementales ont à ce jour fait reconnaître l’illégalité de 12 arrêtés, dont celui de l’Aude. (...)
Reste que nombre d’arrêtés préfectoraux insuffisants demeurent toujours en vigueur. (...)
« Heureusement que les associations environnementales font leur job », constate Rémy Arsento. D’après lui, depuis plus d’un an, les contrôles sont rendus plus difficiles, faute de base réglementaire solide. Or, « sans contrôle par les inspecteurs de l’environnement, dit Olivier Gourbinot, la réglementation ne sert à rien ». « C’est décourageant de voir des lois protectrices détricotées par les pouvoirs et les lobbys locaux », déplore l’agent de l’OFB.
Si le bon respect de la réglementation semble être un levier indispensable pour protéger les cours d’eau, « il s’agit aussi d’accompagner les agriculteurs dans la transition », insiste Sandrine Reverchon-Salle, directrice des politiques d’intervention de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne. Grâce aux redevances payées par les usagers de l’eau, l’Agence finance ainsi la conversion à l’agriculture bio à hauteur de 15 millions d’euros par an, et accompagne, pour 8 millions d’euros, la réduction d’usage des pesticides.
Pour autant, la politique de la carotte et du bâton trouve aussi ses limites. (...)
« On ne détient pas tous les leviers, prévient la directrice. Tant que la politique agricole commune (PAC) ne soutient pas massivement la transition agroécologique, tant que les marchés seront mondialisés, orientés vers l’export, poussant à la compétition entre les systèmes agricoles, on ne parviendra pas à grand-chose ».