
Un intense et discret lobbying est mené auprès des institutions européennes pour déréglementer les « nouveaux OGM ». Deuxième volet de notre enquête, des réunions « informelles » visant à pousser cette dérégulation en contournant la décision de la Cour de justice de l’Union européenne. Le ministère de l’Agriculture français participe au lobbying et ne respecte pas la décision de justice.
Le cadre est « informel », la discussion « ouverte d’esprit », le déjeuner est fourni. Les intentions, « permettre à l’Europe de faire face au changement climatique » et « assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle », sont a priori louables. C’est avec ces mots rassurants que sont formulées les invitations à des réunions pourtant particulières, qui réunissent à Bruxelles des scientifiques et des décideurs politiques triés sur le volet — et dont l’identité est tenue secrète.
L’organisateur est l’European Plant Science Organisation (Organisation européenne pour la science des plantes, Epso). Elle représente plus de deux cents organismes de recherche dans l’Union européenne. « Aucune industrie n’est impliquée dans ces réunions », a insisté l’Epso dans le compte-rendu de l’une d’elles. Mais l’association affiche clairement sa collaboration avec l’association Europabio, qui représente les industries des biotechnologies auprès des institutions européennes. Elle ne cache pas non plus son souhait : une « révision de la législation européenne actuelle » concernant les nouvelles techniques d’éditions du génome — ou nouveaux OGM.
C’est, après la pression sur la Commission européenne, un nouvel aspect du lobbying bruxellois des industriels et scientifiques des biotechnologies qui est révélé par les documents auxquels Reporterre a eu accès en avant-première, et qu’il publie en parallèle avec d’autres médias européens — Der Spiegel en Allemagne, La Libre Belgique, El Diario en Espagne, et Domani en Italie.Prochaine étape, adapter leur stratégie au rapport qui sera rendu par la Commission européenne fin avril. Epso a prévu de lui dédier une réunion dès mai 2021. Mais il se pourrait que les citoyens ne se contentent pas pour adopter les nouveaux OGM de blé supposé sans gluten ou de tomates prétendument plus savoureuses. Et n’en déplaise à ces acteurs qui essayent à huis clos de renverser la décision de la Cour européenne de justice, les citoyens pourraient entrer dans le jeu. Le 19 mars, le comité d’éthique de la Commission européenne a rendu un avis consultatif appelant « à un large débat sociétal inclusif sur l’édition du génome ». (...)
Après avoir montré le fort engagement de Bill Gates pour peser sur le processus politique de régulation des OGM, Reporterre expose aujourd’hui les échanges de courriels, et de leurs pièces jointes, entre l’organisation Epso et les invités à ces réunions « informelles ». (...)
L’affaire n’est pas anodine. Il s’agit de savoir comment les plantes et animaux issus des manipulations génétiques réalisées avec les méthodes récentes, comme les fameux ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9, sont réglementés. En fait, la question est déjà tranchée. Le 25 juillet 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a décidé que ces « nouveaux OGM » étaient bien des OGM, et devaient être réglementés comme tels. (...)
Une douche froide pour les industriels, qui voient dans ces mesures une entrave à un marché prometteur. Ils sont immédiatement montés au créneau, avec l’aide d’organisations représentant le domaine de la recherche, comme Epso. Cela leur a déjà permis d’obtenir qu’une étude soit menée, sur demande d’États membres de l’UE à la Commission européenne, à propos des conséquences de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne sur les nouveaux OGM. La Commission pourrait proposer des « mesures », une première porte ouverte à l’évolution de la réglementation. Le document est attendu fin avril au plus tard. (...)
D’une réunion à l’autre, la discussion s’est faite plus longue et plus précise. Les options pour modifier la directive OGM ont été évoquées. Lors de la deuxième réunion, quatre propositions ont été mises sur la table. Trois consistent à exempter tous les nouveaux OGM de la règlementation OGM. La recette ? Faire acter aux textes réglementaires que les nouveaux OGM ne sont pas des OGM, en disant que la science ne ferait qu’accélérer et orienter avec ses outils biotech un processus naturel d’altération du génome. Une affirmation qui balaie tous les risques propres à ces technologies, pourtant pointés même par le Haut conseil des biotechnologies français, loin d’être anti-OGM.
Le ministère de l’Agriculture français participe au lobbying et ne respecte pas les décisions de justice sur les OGM
Reste un mystère : quelles sont les identités des participants ? (...)
La sémantique utilisée dans les documents échangés autour de ces réunions est elle aussi révélatrice. On parle ainsi d’édition du génome, comme l’on corrigerait un texte ou un livre, et non plus de modification du génome. Ou encore de techniques de mutagenèses dirigées plutôt que de biotechnologies. Pour gagner la confiance du public, une autre stratégie de communication s’étale sur les pages des rapports : trouver des projets phares susceptibles de faire basculer l’opinion en faveur des nouveaux OGM. C’est la stratégie mensongère qui avait été utilisée dans les années 1990 avec la première génération d’OGM. Elle avait ainsi mis en avant le projet de riz doré riche en bêtacarotène censé résoudre les problèmes de carences en vitamine A dans le monde. Vingt ans plus tard, cela reste encore un projet.
Poivrons goûteux et chicorée enrichie (...)
Prochaine étape, adapter leur stratégie au rapport qui sera rendu par la Commission européenne fin avril. Epso a prévu de lui dédier une réunion dès mai 2021. Mais il se pourrait que les citoyens ne se contentent pas pour adopter les nouveaux OGM de blé supposé sans gluten ou de tomates prétendument plus savoureuses. Et n’en déplaise à ces acteurs qui essayent à huis clos de renverser la décision de la Cour européenne de justice, les citoyens pourraient entrer dans le jeu. Le 19 mars, le comité d’éthique de la Commission européenne a rendu un avis consultatif appelant « à un large débat sociétal inclusif sur l’édition du génome ». (...)