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La fabrique du consentement
Le “modèle de propagande” d’Herman et Chomsky
Article mis en ligne le 18 septembre 2012
dernière modification le 16 septembre 2012

Vers le milieu des années 90, et plus précisément à la suite des grèves de décembre 1995, s’est constitué en France autour, notamment, de l’association Acrimed et du journal PLPL, un courant politique (désignons-le ainsi) qu’il est convenu de qualifier de « critique radicale des médias ».

Si les travaux du sociologue Pierre Bourdieu et les écrits du journaliste Serge Halimi en constituent incontestablement les bases théoriques principales, les racines intellectuelles de ce mouvement se retrouvent également de l’autre côté de l’atlantique dans le travail entamé plus de vingt ans auparavant par l’économiste Edward S. Herman et le linguiste Noam Chomsky. (...)

L’un comme l’autre, politisés très jeunes par leur environnement familial et leur fréquentation des milieux radicaux, sont assez naturellement amenés à se rencontrer lors de leur engagement commun contre la guerre du Vietnam à la fin des années 60.

De leur collaboration qui débute alors sont nés, au cours de la décennie suivante, plusieurs épais ouvrages, précis et très documentés sur diverses questions de politique étrangère [1]. Ces études de cas leur ont donné l’occasion de mettre en évidence une orientation quasi-systématique de l’information diffusée par les grands médias dans le sens des intérêts des pouvoirs politiques et financiers dominants.

Les deux auteurs ont publié en 1988 une synthèse de ces années de recherche sous la forme d’un ouvrage devenu l’une des références centrale de la critique des médias et intitulé La Fabrication du consentement. (...)

les deux hommes ne se contentaient pas de consigner leurs observations ; ils se proposaient également d’expliquer à travers une grille de lecture analytique comment et pourquoi les médias étaient amenés « à jouer leur rôle d’organe de propagande  ».

Une telle explication s’avérait nécessaire. En effet, la propagande dont il est question ici n’a plus grand-chose à voir avec les bourrages de crâne de la « grande guerre » ni avec la rudimentaire propagande des régimes fascistes. L’orientation de l’information ne provient plus, pour l’essentiel, d’une volonté étatique planifiée et autoritaire – pas plus que d’un “complot” fomenté par une poignée d’individus démoniaques et omniscients.

Son aspect systématique interdit cependant de la réduire à des “emballements” ponctuels – le terme a fait florès dans les médias dominants – faisant des journalistes le jouet de malheureux concours de circonstances.

Cette orientation, expliquent au contraire Herman et Chomsky, découle logiquement de contraintes structurelles – c’est-à-dire inscrites dans le mode d’organisation et de fonctionnement des industries médiatiques – qui vont “filtrer” et modeler les informations qui seront diffusées. (...)

Dès l’université, Edward S. Herman s’est spécialisé dans l’étude des questions de propriété, de concentration et de contrôle du pouvoir au sein des grandes structures financières (banques, fonds communs de placement, sociétés d’épargne et de prêts).

Il élargit par la suite son travail aux grandes entreprises commerciales (...)

En première approximation, le principe de base du modèle analytique proposé par les auteurs peut se résumer ainsi : au sein d’une société capitaliste, toute institution est structurée de manière hiérarchique et régie par des rapports de force et de propriété. Au sein de ces structures inégalitaires, certains individus ont donc, plus que d’autres, le pouvoir de se faire entendre et de faire prévaloir leur intérêt personnel ainsi que leur vision idéologique et politique. Ils ont le pouvoir de faire de leur désir personnel un « désir-maître », pour reprendre l’expression de l’économiste Frédéric Lordon, c’est-à-dire un désir qui s’impose à d’autres en lieux et place de leurs désirs propres [3].

En observant la distribution de ces rapports de propriété et de pouvoir ainsi que l’identité et la position sociale des individus qu’ils favorisent, il doit donc être possible de déduire l’orientation probable que prendra le mode de fonctionnement de l’institution en question. (...)