Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
« Le mouvement écolo doit prendre en charge la question des discriminations »
Article mis en ligne le 20 octobre 2021

Comment articuler justice climatique et luttes des lesbiennes, des gays, des trans et des queers ? Cy Lecerf Maulpoix, auteur d’« Écologies déviantes », plaide pour une « vision du vivant plus fluide », moins hétérocentrée. Et s’élève contre certains écologistes qui diffusent une pensée homophobe au nom d’une vision simpliste de la nature.

Cy Lecerf Maulpoix — En 2015, j’ai eu la sensation de revenir dans un placard. Il y avait une survalorisation de la parole et des perspectives qui émanaient des hommes hétéros blancs. Dans les discussions et dans les réflexions, la question du changement climatique était envisagée dans un prisme restreint, qui occultait quasi complètement les vulnérabilités et les problématiques spécifiques de différentes populations – LGBTQI [2], mais aussi des personnes racisées ou migrantes. Cela s’est très vite avéré insuffisant. J’ai donc rapidement dévié vers un autre groupe « LGBT pour le climat », devenu ensuite Panzy – contraction en anglais de « tapette » et de « pensée », la fleur. Même si cela a eu ses limites au moment de la COP21, puis à la suite de la mise en place de l’état d’urgence, nous cherchions à esquisser d’autres stratégies de mobilisation et d’action pour inclure les LGBTQI au sein d’une lutte contre la destruction du vivant [3].

Attention cependant, le mouvement écologiste n’est pas un tout uniforme et figé ! En France, même si des formes d’écologies réactionnaires se renforcent, l’articulation de la lutte pour la justice climatique avec différentes luttes sociales infuse lentement certains courants militants, certaines organisations ou des jeunes collectifs, qui se rendent bien compte qu’il nous faut élargir considérablement les perspectives de nos luttes. (...)

Au-delà des argumentaires nauséabonds qui ont encore cours dans les sphères politiques, certaines pensées écologistes en France, de l’écologie intégrale aux courants les plus à gauche de la décroissance ou antitechniciste, affirment une pensée de la nature qui encourage, plus ou moins explicitement, les LGBTQIphobies. L’idée d’un équilibre naturel au sein duquel il n’existerait que des organismes mâles ou femelles, des modes de reproduction hétéronormés, auquel il nous faudrait revenir en toute sobriété façon Pierre Rabhi en est une. Elle implique qu’il existerait aussi des formes de vies, de désirs contre-nature, déviants, à exclure des réflexions globales sur le sens à donner à la lutte écologiste et au vivant. (...)

On retrouve ces argumentaires dans le numéro d’été 2019 intitulé « contre la grande confusion » du journal La Décroissance [4], dans la revue d’écologie intégrale Limite, chez l’organisation Deep green resistance ou dans le journal belge Kairos [5]. Sous couvert de s’attaquer au système technicien et à ses dérives, les vies trans deviennent des délires transhumanistes et les désirs de reproduction des transpédégouines le symbole de la rupture avec une naturalité reproductive originelle.

Rejeter les « déviantes et déviants » du côté de la modernité décadente, d’un productivisme ou libéralisme forcené est un imaginaire que l’on réactive à chaque fois qu’il faut nous pathologiser ou nous criminaliser. Si nous avons évidemment à produire collectivement une critique des dérives techniciennes, nous devons en revanche nous battre contre cette vision simpliste de la naturalité et des corps. (...)

Depuis la fin du 19e siècle, il existe en effet des penseurs et penseuses, des mouvements qui ont pensé ensemble anticapitalisme, libération des corps dominés et libération sexuelle. Car dans le système capitaliste, la domestication, la préservation et l’exploitation de la « nature » va de pair avec la domination, l’exclusion ou la destruction des vies et des corps construits comme « mineurs » ou minoritaires : le corps des femmes, les corps racisés, les existences transpédégouines ou non-humaines.

À mon sens, une écologie radicale a justement à voir avec une tentative de faire émerger une vision du vivant plus fluide, plus complexe que les cases hétérocisnormatives [7] et les perspectives coloniales dans lesquelles on veut constamment le faire entrer de force. (...)

Nous n’avons pas à prouver notre valeur singulière en apportant quelque chose pour intégrer les luttes écolos. La question de la lutte pour le vivant devrait déjà inclure nos perspectives.

Un des gros enjeux actuels pour le mouvement écolo, c’est justement d’arriver à prendre en charge les questions de discriminations, de violences systémiques qui touchent les minorités – classes populaires, minorités sexuelles, personnes racisées, migrantes et migrants… Les crises actuelles, qu’elles soient écologique, sociale ou sanitaire, exacerbent les vulnérabilités systémiques. Or ces perspectives-là sont encore très absentes en France où la peur du minoritaire et du communautaire domine.

La question essentielle, c’est comment construire des alliances ? (...)

Sur le site de l’éditeur :
Écologies déviantes,Voyage en terres queers, Cy Lecerf Maulpoi

Tout à la fois voyage, enquête, cheminement personnel, réflexion politique sur l’articulation des luttes contemporaines, ce livre de Cy Lecerf Maulpoix, journaliste engagé dans les luttes LGBTQI et pour la justice climatique, nous entraîne dans les jardins anglais de l’artiste Derek Jarman, de l’écrivain socialiste Edward Carpenter, du Bloomsbury Group, sur les traces des Radical Faeries de l’Arizona à San Francisco jusqu’aux zones de cruising des lisières des grandes villes.
Parce qu’il met au jour des généalogies oubliées, ce texte permet de reconnaître la dette de l’écologie politique à ces précurseurEUSEs déviantEs. À l’heure où chacunE est concernéE par les enjeux écologiques planétaires, ce livre nécessaire propose de nouvelles pistes militantes et trace une ligne de crête sur laquelle construire, à partir de perspectives minoritaires, un mouvement réellement inclusif.

Date de parution : 1er septembre 2021