
Quoi qu’en dise sa présidente, le Front National n’a jamais cessé d’être raciste et xénophobe, à en juger par l’opinion de ses adhérents et sympathisants. C’est ce que montre le sondage annuel effectué pour la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Depuis que Marine Le Pen a été élue présidente du Front national, en janvier 2011, sa stratégie de conquête du pouvoir passe par la « dédiabolisation », visant à donner du FN l’image d’un parti « comme les autres » [1]. Il s’agit notamment de montrer qu’il n’est ni raciste, ni xénophobe, ni surtout antisémite. Louis Aliot, vice-président du FN et député européen, le dit sans fard : « La dédiabolisation ne porte que sur l’antisémitisme. En distribuant des tracts dans la rue, le seul plafond de verre que je voyais, ce n’était pas l’immigration, ni l’islam… D’autres sont pires que nous sur ces sujets-là. C’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. Il n’y a que cela… À partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique, vous libérez le reste (..). » (Entretien du 6 décembre 2013, in Valérie Igounet, Le Front national de 1972 à nos jours, Paris, Seuil, p. 420).
Marine le Pen, pour sa part, n’a jamais tenu de propos antisémites ou négationnistes, et elle a plus d’une fois condamné les propos antisémites de son père. Elle se présente même comme le meilleur rempart de la communauté juive contre « l’antisémitisme islamique », cherchant, non sans succès, à séduire une partie de cet électorat. (...)
Cette stratégie ne fait pourtant pas l’unanimité dans le parti, si l’on en juge par les nombreuses défections de nouvelles recrues, déçues de découvrir une réalité à mille lieux des discours de la présidente. (...)
Sans compter les propos racistes et antisémites avérés de 104 candidats du FN aux départementales de 2015, malgré les strictes consignes données par la direction. Ces exemples incitent à s’interroger sur le degré de racisme et d’antisémitisme au sein du « nouveau » Front national. Le parti a-t-il vraiment changé à cet égard, ou la stratégie de « dédiabolisation » n’est-elle qu’un leurre ?
Pour répondre à cette question on dispose d’une base de données unique en son genre, celle du sondage annuel effectué pour la Commission nationale consultative des droits de l’homme depuis 1990 [3], qui explore toutes les formes de racisme et de xénophobie. Elle permet d’isoler une population particulière, celle des sympathisants frontistes, soit les personnes qui citent le Front national comme le parti dont elles se sentent « le plus proche ou disons le moins éloigné ». Afficher ouvertement une proximité avec le parti frontiste engage certes moins que l’adhésion, mais plus qu’un simple vote. (...)
Le constat est sans appel. Sur toutes les questions relatives à la perception de l’Autre, « autre » par ses origines, sa couleur de peau, sa religion, sa culture, et quelle que soit la vague de sondage retenue, les réponses des sympathisants du FN sont toujours beaucoup plus négatives que celles des sympathisants des autres partis. (...)
L’arrivée de Marine Le Pen n’a donc pas atténué les préjugés de ses sympathisants. En revanche les sympathisants des autres partis et surtout ceux de droite, dans un contexte de crise économique et de désaffection politique, sont devenus plus racistes. (...)
L’écart entre le niveau de racisme au FN et dans les autres partis a certes un peu diminué, mais il reste spectaculaire, les frontistes distançant encore les sympathisants des partis de droite de 32 points et ceux de gauche de 66 points.
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Un second trait caractéristique des sympathisants du FN est une polarisation anti-Islam exacerbée, bien plus marquée que leur antisémitisme. (...)
Sans atteindre le niveau des préjugés islamophobes, les préjugés anti-juifs sont également beaucoup plus fréquents chez les sympathisants du FN que chez ceux des autres partis. On peut le mesurer grâce à de nouvelles questions récemment introduites dans les enquêtes de la CNCDH, compte tenu de l’inquiétude suscitée par la montée des actes antisémites. (...)
Depuis la Seconde guerre mondiale et le traumatisme de la Shoah, la lutte contre le racisme, sous toutes ses formes, est devenue la norme dans les démocraties occidentales. Les préjugés sont reformulés de manière plus acceptable, sur la base d’arguments culturels, en appelant à des conflits de valeurs ou de civilisation plutôt qu’en termes de race. C’est un racisme qualifié de « soft », « subtil », « voilé », « symbolique », ou encore de « différentialiste », par opposition au racisme « inégalitaire » qui prévalait avant [5]. L’euphémisation relative des discours et des programmes du FN, sa stratégie même de dédiabolisation » en sont un signe. Pourtant cette évolution n’apparaît pas chez les sympathisants du FN, leur racisme s’exprime crûment, à l’ancienne. (...)
La sympathie pour le FN est encore aujourd’hui le fait d’une très large majorité de « racistes » assumés, se revendiquant comme tels. (...)
Ces résultats montrent un décalage certain entre le discours de la présidente du Front national et celui de ses soutiens. Les sympathisants déclarés de son parti se distinguent par un niveau record de rejet de l’Autre, rejet assumé puisque quatre sur cinq se définit comme « raciste ». Alors que Marine Le Pen a fait de l’antisémitisme un tabou, plus d’un sympathisant sur deux a des notes élevées sur une échelle de préjugés anti-juifs. Alors qu’elle prend soin de cibler le « fondamentalisme islamique » et non l’Islam, ses partisans ne font pas la différence. Ils se distinguent des proches de tous les autres partis par leur niveau exceptionnellement élevé d’« islamophobie », au sens de rejet de l’Islam, de ses pratiques, et de ses fidèles. La « dédiabolisation » entreprise par Marine Le Pen n’est pas en phase avec la vision du monde de ses sympathisants. Le « nouveau FN », à cet égard, ressemble encore beaucoup à l’ancien.