
Dans le delta du Niger, une région troublée du Nigeria, la fumée épaisse et âcre qui s’élève au-dessus des arbres révèle l’existence d’installations où l’on raffine le pétrole brut volé.
Les effets environnementaux catastrophiques de cette pratique viennent s’ajouter à la pollution et aux déversements causés par les compagnies pétrolières internationales, qui, au cours des 60 dernières années, ont extrait du pétrole dans cette région sans égard pour la santé et le bien-être des communautés qui y vivent.
Le « raffinage artisanal », comme on l’appelle, est une forme de revanche pour les habitants de ces communautés. Le Nigeria a empoché entre 800 et 933 milliards de dollars de revenus pétroliers (personne ne connaît le chiffre exact, car le système comptable est si opaque), mais les habitants des villages situés le long des ruisseaux d’où est extrait le pétrole brut, qui n’ont jamais reçu leur part, se servent parfois directement.
« Ils insistent sur le fait que ce n’est pas du vol parce que le brut leur appartient », a expliqué Michael Karikpo, d’Environment Rights Action/Friends of the Earth Nigeria.
Le problème, c’est que le raffinage local « affecte les terres et l’industrie de la pêche, et [que] le cycle de la pauvreté se poursuit ».
Faire les choses soi-même
Le sabotage d’un oléoduc n’a rien de clinique. La pression fait gicler le pétrole et seule une fraction peut être recueillie. Le processus de raffinage lui-même est un boulot salissant et les boues toxiques qui sont produites sont généralement rejetées dans les ruisseaux. Des incendies accidentels peuvent également se déclarer et détruire de vastes zones de forêts et de mangroves. Finalement, la stratégie de l’armée qui consiste à faire exploser les raffineries qu’elle trouve entraîne encore plus de dommages environnementaux.
Le raffinage local répond à un réel besoin dans les communautés du delta qui sont coupées des approvisionnements commerciaux en diesel et en kérosène. Lorsque le carburant, qui est par ailleurs disponible en quantités limitées, atteint trois fois le prix de celui qui est vendu en ville, la distillation du pétrole brut qui se trouve dans votre cour – un procédé technique plutôt simple – devient une alternative utile.
Le raffinage artisanal ne coûte pas cher, car il suffit de quelques barils pour récolter le carburant distillé. Il est aujourd’hui si répandu que les « creek prices » constituent une référence pour la tarification du carburant dans le delta du Niger et que le diesel produit est vendu clandestinement un peu partout dans le sud du Nigeria. (...)
Robin des Bois
Le vol de pétrole n’est plus un acte de résistance à la Robin des Bois. Les compagnies pétrolières sont riches, mais les voler ne bénéficie pas seulement aux pauvres. Le vol de pétrole brut repose aujourd’hui sur une industrie complexe impliquant des cartels et le versement de pots-de-vin aux forces de sécurité. Selon un rapport avant-gardiste publié par les chercheurs Ben Naanen et Patrick Tolani, le secteur emploie environ 26 000 personnes.
« La pauvreté est évidemment une cause du vol de pétrole au niveau local », indique le rapport, mais, à l’autre bout du spectre, il y a des groupes « qui font fortune en exportant le pétrole volé » – un manque à gagner estimé à 6 milliards de dollars en 2013.
Les habitants du delta du Niger, négligés par le gouvernement central pendant plusieurs décennies, ont fini par se soulever. Le gouvernement a finalement décidé d’apaiser la révolte armée par le biais d’un programme d’amnistie et de généreux programmes de développement. En réalité, la politique adoptée avait pour but de rallier les leaders des milices et de créer une nouvelle classe de jeunes hommes fortunés tout en renforçant le sentiment d’impunité. (...)