
Reida, personne réfugiée russe, a d’abord travaillé comme psychologue à Moscou. A Lyon, il a décroché une formation d’ « accompagnant éducatif et social » ponctuée de stages, par exemple dans une Maison d’Accueil Spécialisée pour adultes. Il pose ici, via sa double expérience, un regard en miroir sur le handicap en Russie et en France.
Ici, en France, j’ai été surpris par la quantité de gens en situation de handicap qui sont visibles et que tu peux rencontrer dans la rue. Pour comparaison, j’ai vécu à Moscou pendant 26 ans et je n’ai jamais vu d’enfants ou d’adolescents visiblement handicapés, ni à l’école, ni dans la rue, ni dans les espaces publics. Et, sauf deux ou trois exceptions, tous les adultes handicapés que j’ai vus dans à la rue et dans les transports en commun, étaient des mendiants. (...)
Ca peut sembler incroyable, mais c’est vrai. Pour mieux comprendre cette situation, il faut savoir que la plupart de gens en situation de handicap en Russie sont isolés, en même temps à cause du manque d’équipements spécialisés et à cause du préjudice porté à notre société. Par exemple, quand je travaillais avec un homme en situation d’infirmité motrice cérébrale en tant que psychologue, il m’a raconté qu’il a été expulsé de la piscine publique parce que son apparence « gêne les autres clients ». Il a raconté aussi que dans le métro ou dans la bibliothèque les gens pouvaient rigoler sur lui et même l’ont agressé quand il n’a pas pu monter l’escalier assez vite. Et tout ça se produisait seulement parce qu’il ne pouvait pas bouger très rapidement et que son apparence était un peu particulière. Et si tu as en plus une déficience intellectuelle ou des troubles de la parole, la réaction des autres pourra être beaucoup plus désagréable.
Depuis mon arrivée en France, tout le temps j’écrivais dans mon blog sur Facebook des choses comme :
« Aujourd’hui j’ai vu la petite fille dans un fauteuil roulant électrique qui joue à cache-cache avec deux autres enfants ; ils se cachent dans le haut de l’escalier et elle monte la rampe dans son fauteuil en criant « Je monte ! » »
Ou
« j’ai vu le cycliste sans jambes qui m’a dépassé dans la piste du parc avec son vélo spécialisé »
Ou
« la femme avec une trisomie 21 qui travaille en veillant sur les cabines d’essayage dans le magasin de vêtements »,
Et pour mes amis en Russie toutes ces choses — c’est des miracles, des rêves, parce que tout le monde comprend que chez nous c’est totalement impossible. Bien sûr qu’on parle aussi de l’inclusion, ce sujet est même à la mode, mais dans la réalité c’est tout le contraire car l’idée de l’inclusion en Russie est dépassée, pour réduire les coûts régionaux (...)
Et j’ai déjà essayé de décrire la réaction d’irritation et d’aversion qui est plus ou moins typique pour des gens russes, quand ils voient des personnes en situation de handicap. Bien sûr que dans leur nouvelle école ces élèves handicapés deviennent les cibles de harcèlement et d’agression. Un de mes profs dans l’université travaillait avec une fille qui avait été envoyée dans une école normale, quand son école pour des élèves en situation de handicap avait fermé. Cette fille portait un rasoir dans son cahier, parce ce que cela l’apaisait. Elle a dit à son psychologue qu’elle se sentait ainsi plus à l’aise, sachant qu’elle pouvait en « finir avec tout ça » quand elle voulait.
C’est ça l’« inclusion » dans la vie réelle en Russie. Et je suis infiniment heureux qu’ici en France les gens en situation de handicap aient beaucoup plus de chances d’avoir une vie normale, même s’il y a encore énormément de problèmes.
Je viens de commencer la formation d’ « Accompagnant Educatif et Social » et elle me plaît beaucoup. (...)
Après les choses que j’ai observées en Russie, j’ai été ravie de voir que les résidents ont la vie beaucoup plus « normale » que chez nous. Le simple fait que chaque résident ait sa chambre et sa douche personnelle, m’a impressionné parce que chez nous dans les établissements comme notre MAS, trois, quatre ou même cinq personnes handicapées habitent ensemble dans la même chambre, et il y a une seule douche et une seule toilette communes dans l’étage. L’idée de la MAS, — c’est de construire la vraie « maison » où les résidents peuvent se sentir comme chez soi. Et les établissements de ce type en Russie, — ce ne sont pas des « maisons », c’est plutôt l’hôpital où la personne vit en permanence, à cause de sa maladie incurable. Ou pire, — c’est la prison où la personne profondément handicapée reste jusqu’à sa mort, parce que la société veut l’isoler des autres et oublier son existence. (...)