Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Basta !
Le revenu de base, levier d’émancipation collective ou nouvelle arnaque néolibérale ?
Article mis en ligne le 19 avril 2017
dernière modification le 14 avril 2017

Le revenu de base s’est immiscé au cœur de la présidentielle. L’idée : verser à chacun un revenu mensuel de sa naissance à sa mort, sans condition ni contrepartie. Pourquoi cette mesure est-elle autant reprise et fait-elle autant débat, à droite comme à gauche ? En quoi le revenu universel peut-il être un moyen d’émancipation ? Ne risque-t-il pas, au contraire, de renvoyer les femmes au foyer, ou de menacer la protection sociale ? En réalité, selon les mouvements, selon les courants politiques ou les économistes, le contenu de cette idée varie en profondeur. Quel montant, quel mode de financement ? Où le revenu de base est-il expérimenté ? Basta ! explore une question qui a le mérite de remettre le travail et la répartition des richesses au cœur du débat.

Revenu de base, revenu universel inconditionnel, allocation universelle, revenu d’existence, salaire à vie [1], revenu d’autonomie, Liber... Des appellations multiples qui recouvrent un même principe : verser à tout citoyen un revenu mensuel, de sa naissance à sa mort, sans condition ni contrepartie. D’après les mouvements qui militent pour le revenu de base [2], trois caractéristiques principales en sont au fondement : il est universel, versé sur une base individuelle et accordé de façon inconditionnelle. Mais de multiples nuances, selon les acteurs qui le reprennent à leur compte, façonnent ce dispositif.

A droite comme à gauche, des politiques s’approprient l’idée. Europe Écologie-Les Verts (EELV) s’est prononcé en faveur du revenu universel dès l’élection présidentielle de 2007. Benoit Hamon, actuel candidat du Parti socialiste (PS), en a fait une mesure phare dont les contours ont beaucoup évolué depuis le début de la campagne [3]. Lors des primaires de la droite, Nathalie Kosciuzko-Morizet et Jean-Frédéric Poisson ont également repris l’idée dans le but de remettre à plat un système d’aides sociales devenu selon eux « trop complexe » et trop coûteux.

Le revenu de base, une utopie vieille de plusieurs siècles (...)

Selon Friedman, cet impôt négatif serait plus efficace économiquement, en donnant libre cours au jeu du marché et en mettant fin à toute socialisation des revenus, au système de sécurité sociale, aux services publics collectifs et à la bureaucratie. Entre ces conceptions antagoniques, des sociologues, politistes, économistes, philosophes, ont produit ces quarante dernières années une abondante littérature sur le revenu de base, autour de ses différentes approches et dénominations. (...)

Déconnecter le travail de la perception d’un revenu soulève néanmoins des questions. L’économiste Jean-Marie Harribey, membre des économistes atterrés, estime qu’il y a confusion entre la marchandisation, c’est à dire l’application des règles du marché à tous les secteurs y compris les services publics, et la monétarisation des activités qui représente la validation par la société du travail fourni. Si une activité est échangée contre de l’argent, donc monétisée, c’est qu’elle rencontre une demande de la société. Or, dans le cadre du revenu d’existence, si chacun se livre de son côté aux activités qu’il souhaite en étant seul à décider, par quel mécanisme passera la validation par la société de ces activités, utiles ou non, si elle ne passe plus ni par le marché ni par l’impôt ?

Une autre interrogation concerne les métiers dangereux ou pénibles, comme ramasser les poubelles, balayer les rues ou risquer l’irradiation dans les centrales nucléaires. Qui s’occupera du ramassage des déchets ménagers si chacun décide de son activité ? A cette objection, les partisans du revenu de base avancent la réduction des déchets, l’automatisation, une nouvelle répartition des tâches et l’augmentation des salaires pour ces emplois.

Fin du travail, ou partage inégal ?

Le revenu de base repose en partie sur l’idée d’une diminution drastique de l’emploi en raison de l’automatisation des tâches. Le plein emploi serait devenu chimérique ; d’autre part la flexibilité aurait remplacé le contrat d’emploi à durée indéterminée et à temps plein, avec des horaires et des missions planifiés. Le revenu de base inconditionnel constituerait alors un dispositif social adapté à une société « ubérisée », où comme le travail, les revenus qui en découlent deviendraient intermittents. Au contraire, soutient Mateo Alatuf, professeur de sociologie spécialiste des questions relatives à l’emploi et au travail, « l’emploi a considérablement augmenté depuis un siècle ». A ses yeux, la transition écologique, les énergies renouvelables, les programmes de transports collectifs, les projets de refondation urbaine et l’assainissement de l’environnement sont porteurs d’emplois.

A travers le revenu d’existence se pose ainsi une question centrale : le travail est-il aliénant, ou est-ce un moyen de reconnaissance et d’intégration sociales ? (...)

En dépit des débats sur la fin du travail, le salariat constitue encore 90% des emplois dans le monde occidental, complète Jean-Marie Harribey, pour qui le revenu d’existence enterre l’idée d’un meilleur partage des revenus et du temps de travail. « Ce n’est pas une vraie réduction que [les partisans du revenu universel] proposent, mais bien une sortie "volontaire" de certains individus de l’emploi, ce qui correspond exactement au partage du temps de travail selon le modèle néolibéral : plus de travail pour les uns et l’illusion de la liberté pour les autres », critique t-il dans l’ouvrage collectif Contre l’allocation universelle (Lux éditeur, 2016). (...)