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Mediapart
Le ruissellement voulu par Macron a été évalué : il profite bien aux plus riches
Article mis en ligne le 15 octobre 2021

Le troisième rapport d’évaluation de la réforme de la fiscalité du capital de 2018 n’a pas pu identifier d’effets économiques positifs, seulement une hausse gigantesque des dividendes versés aux ultra-riches. Le récit d’Emmanuel Macron s’effondre face à la réalité.

C’est une étude qui fait dérailler le récit gouvernemental. Le troisième rapport d’évaluation de la réforme de la fiscalité du capital réalisé par France Stratégie a été publié ce 14 octobre et il tire un bilan très sévère de ces mesures. Le seul vrai effet est celui qui était attendu : l’augmentation de la fortune des plus riches. Pour le reste, l’impact sur l’investissement et l’activité, le rapport ne parvient pas à identifier des liens. (...)

Rappelons que cette réforme de la fiscalité du capital s’appuyait sur deux mesures phares. D’une part, la suppression au 1er janvier 2018 de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et sa transformation en impôt sur la fortune immobilière (IFI), ce qui revenait à exonérer le patrimoine mobilier (actions, or, obligations, comptes divers) de cet impôt. D’autre part, la création d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % sur les revenus du capital, qui fonctionnait comme une forme de « bouclier fiscal » pour ces revenus et leur donnait un avantage fiscal considérable, pour les plus riches, face aux revenus du travail.

Par ailleurs, pour bien saisir la sévérité du rapport, dont les termes restent extrêmement prudents, il faut avoir en tête la composition du comité d’évaluation. Ce dernier a été construit sur mesure pour produire une évaluation positive. Il est formé d’économistes mainstream convaincus des effets bénéfiques de cette réforme, d’élus de la majorité, de représentants du Medef, de syndicats « réformistes » (CFTC et CFDT) et de fonctionnaires de la Banque de France ou de la Direction générale du Trésor. Autant dire que si ce comité avait été capable de démontrer le moindre effet macroéconomique positif, il ne s’en serait guère privé. Mais il n’en est rien.

Dans son avis, le comité ne peut donc écrire, presque désolé, que « l’observation des grandes variables économiques – croissance, investissement, flux de placements financiers des ménages, etc. –, avant et après les réformes, ne suffit pas pour conclure sur l’effet réel de ces réformes. En particulier, il ne sera pas possible d’estimer par ce seul moyen si la suppression de l’ISF a permis une réorientation de l’épargne des contribuables concernés vers le financement des entreprises » (...)

C’est un véritable camouflet, même si le Comité appelle évidemment à la patience et envisage un effet à long terme du « ruissellement » défendu par le gouvernement et Emmanuel Macron, qui ont toujours prétendu que la fin de l’ISF et l’instauration du PFU étaient des armes pour l’investissement et pour l’emploi.

Mais derrière la glose un peu ennuyée du comité, il y a une réalité concrète : rien n’a changé dans les comportements macroéconomiques après la réforme. (...)

Le comité affirme d’ailleurs qu’il n’y a pas eu d’impact de la réforme sur les fameux « départs » de personnes fortunées du pays, qui étaient une des raisons avancées régulièrement pour en finir avec l’ISF. Ces « départs » avaient commencé à ralentir dès 2013 et on ne constate pas « d’inflexion particulière » dans ce mouvement. Le comité signale certes une augmentation des « retours », mais à quoi servent ces calculs ? Le seul intérêt éventuel de l’analyse de ces mouvements est de connaître l’impact de ceux-ci en termes économiques. Or on sait depuis longtemps qu’ils sont nuls et le rapport vient le confirmer.

Le résultat est le même sur le PFU qui était censé permettre de dégager des fonds pour réinvestir dans les entreprises. Le comité ne peut qu’affirmer qu’il n’existe « aucun impact sur l’investissement et les salaires des entreprises détenues davantage par les personnes physiques suite au PFU ». Par ailleurs, la hausse des dividendes, sur laquelle on reviendra, s’est accompagnée d’une hausse de l’investissement immobilier, malgré le maintien de l’IFI. (...)

La réforme fiscale a donc favorisé, outre les consommations de luxe, l’immobilier, dont la valeur est soutenue par les banques centrales. Bref, on est très largement dans l’investissement improductif, ce qui correspond, sans surprise, à la structure du capitalisme contemporain. On s’en doutait avant la réforme, on en a confirmation. (...)

À défaut d’un effet économique identifiable, la réforme a, en revanche, eu un effet sur le patrimoine et les revenus des plus fortunés. Et c’est même le seul effet que le comité est capable d’identifier avec certitude. Et les chiffres sont vertigineux. (...)

45 % de la hausse de 9 milliards d’euros a été captée par 5 000 foyers qui ont vu leurs dividendes dépasser 100 000 euros par an, et 13 %, soit 1,2 milliard d’euros, ont été captés par 310 foyers, qui ont touché plus d’un million d’euros de dividendes par an. Il s’est ensuivi un creusement des inégalités au sein même de la classe la plus aisée, au bénéfice des 0,1 % les plus riches. (...)

45 % de la hausse de 9 milliards d’euros a été captée par 5 000 foyers qui ont vu leurs dividendes dépasser 100 000 euros par an, et 13 %, soit 1,2 milliard d’euros, ont été captés par 310 foyers, qui ont touché plus d’un million d’euros de dividendes par an. Il s’est ensuivi un creusement des inégalités au sein même de la classe la plus aisée, au bénéfice des 0,1 % les plus riches. (...)

Ce qui est important, c’est que le comité, malgré certains doutes, ne peut pas dissimuler le lien de cause à effet entre l’instauration du PFU et cette hausse des dividendes versés. « Les équipes de recherche sont à même d’établir l’existence d’un effet causal de l’instauration du PFU sur le versement de dividendes aux ménages », indique le rapport, qui enfonce le clou : « Le comité considère que la majorité de cette augmentation [des dividendes] a bien été causée par l’instauration du PFU. »
Une politique de classe, en dépit des évaluations

Bref, le principal effet de la réforme de la fiscalité favorable aux riches, c’est bien que les riches sont devenus plus riches. Pas étonnant, pourrait-on dire. Et pourtant, cette évidence a été combattue et est encore combattue aujourd’hui par la majorité présidentielle. (...)

Les faits donnent donc désormais clairement tort à Emmanuel Macron. Un comité constitué sur mesure pour confirmer l’efficacité de la réforme en est incapable et ne sait identifier qu’un seul effet : l’enrichissement des plus riches. Tout le récit économique du gouvernement sombre alors. Mais il ne faut pas s’attendre à une remise en cause. Ce récit peut, comme le fait Bercy, s’accrocher à la dernière bouée de sauvetage du ruissellement : il faut encore attendre et, même, aller plus loin.

C’est d’ailleurs la seule concession que peut faire l’avis du comité : espérer que cela marche plus tard. (...)

En réalité, la seule vraie boussole de ce quinquennat, c’est cette réforme de la fiscalité du capital. Aucune crise, ni les « gilets jaunes », ni la crise sanitaire, n’a remis en cause la conviction profonde de l’exécutif sur ce point. En dépit de son impopularité, la fin de l’ISF est restée un point non négociable pour Emmanuel Macron. C’est donc ici qu’il faut chercher son identité politique et économique.

Au passage, on remarquera combien les « évaluations », jugées essentielles au moment de voter les réformes, relèvent de l’imposture. (...)

Marlène Schiappa va-t-elle proposer de rétablir l’ISF comme elle s’y était alors engagée ? « Si l’évaluation montre que des capitaux ne sont pas suffisamment injectés dans l’économie française, je proposerai de rétablir l’ISF », avait-elle alors affirmé.

Évidemment, on comprend la fonction de l’évaluation : c’est une façon de gagner du temps et de pérenniser des mesures qui, une fois en place, ne peuvent plus être remises en cause, car on ferait alors prendre des risques à « l’emploi ». C’est un piège politique qui s’apparente à une forme d’escroquerie. (...)

Il n’empêche : dans un débat présidentiel où Emmanuel Macron va prétendre avoir pratiqué une politique redistributive et efficace, cette évaluation est un démenti cinglant. L’abnégation avec laquelle l’Élysée a nié l’histoire et les études économiques pour mener sa politique de classe avec la vieille ficelle du « ruissellement » ne fait guère du camp présidentiel celui de la « raison » comme il prétend l’être parfois.