La sécurité économique et sociale des uns passe désormais par l’insécurité des autres, alors même que la plupart d’entre nous sommes révoltés par les injustices. Une « préférence pour l’inégalité » qui ressemble à un cercle vicieux qui pourrait anéantir le fondement des sociétés démocratiques et leur idéal de justice sociale.
Les inégalités sont de retour, dans les statistiques et sur la scène politique et intellectuelle. Les mouvements de contestation du capitalisme comme Occupy Wall Street sur le front des mouvements sociaux, et le succès populaire et médiatique du livre de Thomas Piketty ont popularisé l’idée selon laquelle un petit 1% de très riches imposait sa volonté aux 99% restants de la population. L’ancien prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, a publié récemment une compilation de textes et d’articles sur les causes de la crise de 2007. Si son analyse diffère légèrement de celle de Piketty, les deux économistes constatent que la richesse se concentre de plus en plus entre quelques mains. (...)
Selon François Dubet, les « petites inégalités » qui « peuvent sembler minuscules au regard de l’incroyable captation de richesses par les 1% », nous importent pourtant autant que les grandes. Sociologue et cofondateur du site L’Observatoire des inégalités, Patrick Savidan, auteur d’un essai paru à la rentrée, Voulons-nous vraiment l’égalité ?, va dans le même sens : l’adhésion à la persistance des inégalités ne concerne pas la seule oligarchie financière du « 1% ». Chacun contribue à maintenir voire à renforcer ces inégalités sociales. (...)
Pourtant, dans notre vie quotidienne, nous agissons tous d’une manière qui maintient ou renforce ces inégalités. L’exemple le plus emblématique étant le contournement de la carte scolaire par les parents les mieux informés et les plus éduqués, devenu une discipline olympique en France. Ces actions individuelles sont rationnelles -donner à ses enfants les meilleures chances de réussite en les plaçant dans une bonne école- mais la conséquence sociale de tous ces évitements aboutit en fin de parcours à ghettoïser les établissements les moins cotés. Cette spirale négative s’observe aussi dans le domaine du logement (...)
Simplement, la majorité des gens aspirent à une sécurité sociale et économique qui passe par la possibilité d’élever et de soigner ses enfants, de faire ses courses, de pouvoir partir en vacances et se faire plaisir de temps en temps, d’être au-delà du niveau de la survie.
Face à ces aspirations légitimes, la « montée des incertitudes », « dans un contexte de précarité croissante », objective comme ressentie (le taux de précarité est passé de 5,3% en 1982 à 12% aujourd’hui), dans un régime dépolitisé (personne n’attend plus rien du collectif) incite tout le monde à paniquer et à chercher une porte de sortie, comme dans un théâtre en feu muni de portes de secours étroites, configuration où « tout conspire à dresser les individus les uns contre les autres », de sorte « qu’il devient impossible de lutter pour soi sans lutter contre les autres. » La possibilité de coopérations a laissé place à un sauve-qui-peut généralisé. (...)