
(...) En moins d’un an, des attentats d’extrême droite ont été commis aux quatre coins du monde occidental au nom de la même idéologie : un racialisme exacerbé qui ne voit le monde qu’au travers du prisme ethnique. Ce discours n’épargne pas la France, pays des droits humains, ni l’Europe de l’Ouest, que l’on aurait pu croire vaccinée par les horreurs de la Seconde Guerre mondiale.
Au cœur de l’Union européenne se développent des partis et leurs satellites qui expliquent tout par la race. Un fait divers met en scène un agresseur issu de l’immigration ? La fachosphère se précipite pour dépeindre une attaque contre le peuple blanc. Une photo de classe montre des enfants un peu trop colorés à leur goût ? Cela est présenté comme une preuve de la véracité du grand remplacement, cette théorie complotiste et raciste avançant que les élites (bien souvent, les Juifs) travailleraient à la substitution du peuple dit de souche par des populations immigrées, principalement musulmanes et nord-africaines. Un attentat djihadiste est perpétré ? Les mêmes s’empressent d’y associer tou·tes les musulman·es y voyant la preuve de la guerre que mèneraient ces envahisseurs, comme ils les appellent, contre la population autochtone. À chaque fois, ces exemples soigneusement choisis ne sont vus –et déformés– qu’à travers le seul prisme racial.
Le Rassemblement national (RN), Génération identitaire ou l’ex-Bastion social, en France, mais aussi Pegida, le NPD et l’AfD en Allemagne, le UKIP, le Brexit party et Britain First au Royaume-Uni, Vox en Espagne, la Lega, Forza Nuova ou CasaPound en Italie, Aube dorée en Grèce... Les acteurs qui construisent leur propagande autour de ces thèmes sont nombreux et ils appartiennent tous à la même famille politique d’extrême droite, radicale ou non.
Tous reprennent à leur compte ce racialisme, quitte à en adoucir la forme, mais jamais le fond. (...)
Ces partis d’extrême droite institutionnels sont-ils liés aux terroristes d’extrême droite qui ont frappé –ou voulu frapper– partout en Occident et jusqu’au sein de l’Union européenne au nom justement de la lutte pour une soi-disant race blanche ? Assurément non. Mais ils participent bien à la construction et à la diffusion à grande échelle d’un discours qui peut, dans certains cas, pousser des individus à prendre les armes. (...)
en juin 2018, le groupuscule Action des forces opérationnelles était démantelé, soupçonné de planifier des attaques contre des musulman·es. En novembre de la même année ont été arrêté·es des membres du groupuscule identitaire Les Barjols. Accusés de vouloir s’en prendre au chef de l’État ils se rêvaient en défenseurs d’une France qui serait menacée par les populations musulmanes et immigrées. En juin 2019, un néonazi voulait commettre un « carnage » au dîner du Crif. (...)
Outre la France, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suède, en Espagne, en Italie, en Norvège, le terrorisme d’extrême droite a aussi frappé : on dénombre seize attentats racistes de plus ou moins grande envergure depuis 2015, pour un total de vingt-sept morts et soixante-douze blessé·es. Plus d’une centaine d’arrestations sont également recensées. Mais c’est l’outre-Rhin qui est le plus durement touché avec cinq attaques sur les cinq dernières années, ayant fait vingt-et-un morts et cinquante-deux blessé·es. Sans compter, un peu partout, les nombreux projets déjoués. Dans la plupart de ces attaques et projets d’attentats, la « race » et la « guerre raciale » qu’elle soit redoutée ou souhaitée, servent de toile de fond idéologique. (...)
« Qu’un terroriste passe seul à l’action ne signifie pas ipso facto qu’il en soit l’unique responsable. [...] Même s’il est seul devant son écran d’ordinateur, surfant sur le web, passant de liens en liens, comment prétendre qu’un individu puisse s’autoradicaliser ? Comme s’il n’y avait personne de l’autre côté de l’écran. » Le modèle djihadiste est même érigé en modèle d’efficacité par certains radicaux de droite, qui partagent le même agenda du choc des civilisations, selon leur vocabulaire.
Selon des documents de travail de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) que Slate a pu consulter, la mouvance ultra de l’extrême droite française, celle considérée comme violente, est forte d’un noyau dur d’un millier d’individus particulièrement surveillés pour leur potentiel de passage à l’acte, ainsi que 1.000 à 2.000 autres personnes considérées comme sympathisantes qui jouent plus le rôle de soutiens, participant aux rassemblements ou manifestations. Toujours selon nos informations, le Service central du renseignement territorial (SCRT) évoque lui aussi le chiffre d’un millier d’individus violents et prêchant la violence qu’il surveille. Paris est toutefois en dehors du périmètre d’action de ce service. Le SCRT ne comptabilise donc pas les ultras de la capitale. (...)
Quant au potentiel violent de ces ultras de différents groupes, il ne se discute pas. Outre le fait qu’ils fréquentent les camps d’été, les stages survivalistes, les salles de sport ou de boxe tenues ou organisées par des membres de la mouvance, certains se réunissent aussi pour des entraînements au combat ou au tir en forêt. Le nombre de militaires et de policièr·es, en activité ou non, au sein de la mouvance inquiète également, d’après un récent rapport d’Europol.
Comme l’a révélé Mediapart, 350 membres de l’ultradroite hexagonale possèdent légalement une arme à feu. (...)
Certaines chaînes diffusent même des images d’atrocités (exécutions, torture...) dans le but d’aider leur audience à se « désensibiliser », disent-ils, et ainsi favoriser le passage à l’acte. Des chaînes dédiées exclusivement aux lectures radicales en côtoient d’autres qui se concentrent sur une préparation physique, mentale ou paramilitaire. À chaque fois, elles touchent quelques milliers d’abonné·es qui semblent très assidu·es au vu des performances d’audience des publications. Ces canaux de diffusion sont très surveillés par les renseignements. (...)
Le discours voulant que l’Occident serait en danger, en passe d’être conquis par les populations migrantes, est longtemps resté peu performant politiquement du fait de l’absence de matérialité de la prétendue menace. Mais l’année 2015 a marqué un tournant, souligne Nicolas Lebourg. Au mitan des années 2010, la crise migratoire et la multiplication des attentats ont changé la donne, nourrissant les fantasmes et les désirs de revanche. C’est une certaine « radicalisation de la normalité », explique Nicolas Lebourg, qui peut conduire des « anonymes » non suivis par les renseignements à passer à l’acte.