
Gérard Filoche fait partie de ces gens fort nombreux qui ne sont jamais meilleurs que lorsqu’ils parlent de ce qu’ils connaissent. Et s’il y a un truc que Gérard connait bien, ce sont les stratégies mises en œuvre par le patronat pour presser le citron du salariat jusqu’à en exprimer la moindre goutte, jusqu’à en pulvériser la pulpe.
Hier soir, l’ami Gérard est donc venu du côté du bled pour parler de son dernier bouquin sorti chez une jeune maison d’édition gersoise au nom merveilleusement évocateur : Le vent se lève. Rien que pour cela, il faut saluer le geste : pas évident de se lancer dans la jungle impitoyable de l’édition par les temps qui courent et encore moins quand on est une femme en milieu rural.
Pour ma part, c’était plutôt l’occasion d’aller tacler en direct quelqu’un dont j’aime bien, sur les réseaux sociaux, "fourrer le museau dans la litière PS", selon la merveilleuse image employée récemment par un Frédéric Lordon particulièrement inspiré.
Mais j’en ai été pour mes frais, Gérard collant à son sujet avec la même fougue qu’il déploie habituellement à patauger dans le marigot socialo-patronal : la défense du Code du travail et donc des salariés contre la voracité des patrons et de la finance qu’ils servent si complaisamment. En fait, si tu enlèves le PS à Filoche, tu commences à avoir là les contours d’une personnalité politique nettement plus intéressante. Le seul moment où il se prend les pieds dans le tapis, c’est vers la fin quand il appelle avec des trémolos dans la voix à une union de Gôche un peu en génération spontanée, une sorte de fantasme politique que les siens n’ont pourtant eu de cesse de saboter depuis des décennies par leur empressement à se soumettre à un patronat que Gérard doit être bien seul dans son bac à sable à continuer de combattre. (...)
On a parfois l’impression que Filoche ne verra jamais l’imposture et qu’il restera dans le parti qui se fait appeler socialiste même lorsque ce dernier aura rétabli le travail des enfants (toujours selon la très bonne image de Lordon).
Ce qui est bien dommage, parce que sorti du marigot idéologique, Gérard a parfaitement bien saisi où est l’ennemi (mais peut-être pas encore tout à fait la longueur de ses tentacules, comment veux-tu, comment veux-tu… ?). (...)
Gérard Filoche nous donne quelques ordres de grandeur de ce que sont les rapports de force économiques en ce moment, alors que la plupart des patrons du CAC40 se ramassent tranquillement des rémunérations égales à 600 SMIC sous prétexte qu’ils seraient des sources de richesse… (...)
Aucun patron ne peut être sympa, parce que même s’il a envie de l’être, derrière lui, il y aura toujours un banquier [et/ou un actionnaire] pour exiger qu’il fasse plus de profit [et donc moins de redistribution salariale]. (…)
Aujourd’hui, 93 % des gens qui travaillent sont des salariés. Il n’y a jamais eu autant de salariés, donc de gens qui dépendent du Code du travail pour les protéger des abus. Dans le même temps, 97 % des entreprises ont moins de 50 salariés. C’est-à-dire qu’elles sont sous le seuil social pour avoir des CE. La majorité des salariés n’ont pas de représentants du personnel. De la même manière que 80 % des entreprises ne sont que des sous-traitantes des 1000 plus grosses entreprises de France, celles qui comptent, celles qui font 50 % du PIB, celles qui font la loi à travers le MEDEF. (…)
Le MEDEF cherche à remplacer le lien de subordination du contrat de travail par le concept de soumission librement consentie. Et tous les patrons rêvent d’obtenir le licenciement sans motif qui serait concrétisé, quelque part, dans le nouveau contrat de 5 ans renouvelable. Si vous ne savez pas ce que signifie un licenciement sans motif, je vous conseille de vous procurer et de regarder le film In the air, où le boulot de Georges Clooney, entre deux avions, c’est d’aller d’une entreprise à l’autre et de virer les gens d’une minute à l’autre, comme cela. (…)
C’est déjà un peu ce qui arrive avec la rupture conventionnelle : maintenant, il y en a un million chaque année. C’est le plus grand plan social de France, mais comme il est individualisé et non collectif, il ne se voit pas. (...)