
Le mouvement des Indignés forme un espoir dans le décor de désespérance fataliste qui tient lieu d’histoire dans l’Europe contemporaine. Il représente en premier lieu le signal d’un refus dans une jeunesse qui subit de plein fouet une situation qu’on ne saurait appeler "crise" tant elle est durablement installée. En fait de crise, il s’agit plutôt d’un grand mouvement de reflux du politique sans précédent depuis la seconde guerre mondiale, que l’on peut dater des années 1980 sous l’effet de la révolution néolibérale accentuée tout au long des années 1990 et 2000 dans le sillage de la décomposition brutale de l’Union soviétique.
(...) Les Indignés ne cherchent pas de bouc-émissaire à la crise et ne stigmatisent aucune catégorie de population. Mépriser leur mouvement serait donc commettre une erreur certaine, avec le risque que demain d’autres forces moins sympathiques mais plus efficaces dans l’influence voire la conquête du pouvoir mobilisent des foules exaspérées et désespérées.(...)
Cependant, il est important que le mouvement des Indignés franchisse le pas politique qui mène de l’indignation à la participation active au changement(...)
Dans cette optique, le mouvement des Indignés doit se vivre comme une sorte de « campagne électorale permanente » qui impose ses thèmes et ses préoccupations à une classe politique certes élue mais désespérément sourde aux attentes populaires.(...)
Cette stratégie présente l’avantage de l’efficacité immédiate, avec des victoires potentielles précises et concrètes. Elle permet de conserver le caractère non partisan du mouvement au sens classique de la science politique moderne. En revanche, le mouvement risque de s’essouffler sur la durée dans la mesure où il reste encore en marge de la politique institutionnelle. L’autre voie possible consiste à capitaliser sur l’indignation collective à l’œuvre en créant une structure politique nouvelle et spécifique. Cela impliquerait de présenter des candidats aux élections locales, nationales voire européennes. Il s’agirait de viser la conquête du pouvoir politique. C’est un pari beaucoup plus audacieux qui chercherait à inscrire le mouvement dans la durée. Néanmoins une telle stratégie risque de se fracasser sur des désaccords partisans.(...)
Il existe, nous semble-t-il, une voie intermédiaire. Les Indignés pourraient aller plus loin que la pression de masse que lui dicte la première voie esquissée ici. Il pourrait aussi élaborer son propre programme politique dans le cadre d’un mouvement plutôt que d’un parti. Le mouvement aurait des sections nationales libres mais en contact entre elles, avec une ambition commune : ré-intellectualiser la politique en réexplorant le domaine du possible, le volontarisme chevillé au corps. Il viserait à contrebalancer la politique spectacle par laquelle des hommes sans idée font une carrière comme n’importe quelle autre, et par laquelle des partis éternels peinent à s’emparer, sauf mode exceptionnelle, du mouvement des idées qui parcourt le siècle. Ce mouvement irait plus loin qu’un simple think tank, par sa prétention à s’insérer dans la société civile, à atteindre un large public et d’abord la jeunesse. Plus encore, il chercherait à approfondir la démocratie en dépassant l’élection. Il s’agit ici de promouvoir le tirage au sort, de le penser et de se battre pour son triomphe, afin que les hommes et femmes de ce continent ne soient pas condamnés à vivre la démocratie en spectateur et consommateur. (...) (...) Wikio