
Les critiques amères essuyées ce mois-ci par les soldats de maintien de la paix des Nations Unies au Soudan du Sud pour n’avoir pas su protéger les civils et les humanitaires n’ont malheureusement rien de nouveau. Elles soulèvent cependant une question urgente : le système de maintien de la paix des Nations Unies est-il adapté ?
Début 2014, peu après l’éclatement de la terrible guerre civile qui secoue le pays, les responsables du Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) des Nations Unies sentaient déjà la pression qui pesait sur eux quant à leur capacité à protéger plus de 60 000 Sud-Soudanais déplacés par les violences qui avaient trouvé refuge dans les camps de l’organisation. C’était alors un chiffre sans précédent.
« Nous ne pouvons pas protéger [les humanitaires] d’une invasion tout en patrouillant un secteur de la taille de la France », avait alors dit Kieran Dwyer, porte-parole du DOMP. Il n’est pas du ressort des soldats de maintien de la paix, avait-il ajouté, « de se mettre en travers des forces antigouvernementales qui combattent les forces progouvernementales ».
M. Dwyer prononça ces paroles peu de temps après l’autorisation par le Conseil de sécurité de l’élargissement des effectifs de la mission au Soudan du Sud (MINUSS) de 7 000 à 12 500 soldats. Cependant, même avec l’arrivée de 5 500 nouveaux Casques bleus, le rôle de la mission restait selon lui clairement limité. Malgré son mandat régi par le Chapitre VII, autorisant le recours à la force létale, le DOMP estimait que ses soldats étaient mal équipés pour sauver des vies en pleine guerre civile. (...)
Ce mois-ci, après des combats à Juba, la capitale, qui ont fait des centaines de morts et un nombre incalculable de victimes de violences sexuelles, le Conseil de sécurité des Nations Unies a de nouveau voté pour l’élargissement de la MINUSS. Le 12 août, des diplomates ont approuvé le déploiement d’une Force de protection régionale de 4 000 hommes pour faciliter la circulation à Juba, protéger son aéroport et combattre « tout acteur » soupçonné de préparer ou de mener des attaques contre les Nations Unies, contre des intervenants internationaux ou contre des civils.
Ce déploiement — dont les conditions, la composition exacte des troupes, leur date d’arrivée et même leur lieu d’hébergement n’ont pas encore été arrêtés — a pour but de fournir aux Nations Unies une force pouvant intervenir tel que les 13 000 soldats de maintien de la paix déjà sur place n’ont pas pu ou pas voulu le faire
La décision du Conseil de sécurité de déployer cette force de protection a été largement motivée par les violences perpétrées par le gouvernement avec lequel la MINUSS était censée coopérer. Sa présence est donc fragile et potentiellement explosive. (...)
Un modèle obsolète ?
Les évènements au Soudan du Sud peuvent nous permettre de mieux cerner le rôle que pourraient avoir les soldats de maintien de la paix à l’avenir : s’ils peuvent réellement protéger les civils en période de guerre ou si les Nations Unies sont trop lentes, trop prudentes, et devraient déléguer l’imposition de la paix à des organisations régionales travaillant avec leur aval.
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Selon une enquête publiée par Associated Press, des dizaines de femmes Nuer — l’ethnie de M. Machar — ont été violées « juste devant » un camp des Nations Unies où elles s’étaient réfugiées lors des combats. Plusieurs témoins ont dit avoir vu des soldats de maintien de la paix chinois et népalais regarder les soldats emporter une femme en la traînant.
Les violences de juillet se sont produites quelques semaines à peine après l’achèvement des travaux d’une Commission d’enquête des Nations Unies sur l’inaction des soldats de maintien de la paix lors d’une attaque orchestrée par le gouvernement contre un camp de protection des civils à Malakal en février qui avait fait 30 morts parmi les déplacés. Les manquements observés à Malakal et à Juba semblent être caractéristiques de la MINUSS.
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. D’après Associated Press, des humanitaires étrangers ont été victimes de viols et d’agressions à moins de deux kilomètres d’une base des Nations Unies, lorsque qu’une centaine de soldats des forces gouvernementales, dont certains ivres, selon les témoignages, a attaqué le complexe hôtelier Terrain le 11 juillet.
Malgré des appels à l’aide répétés et angoissés à l’attention des agents des Nations Unies, des heures se sont écoulées sans qu’un seul soldat de maintien de la paix soit envoyé sur place. Des humanitaires ont vu un journaliste Huer se faire exécuter sommairement sous leurs yeux et une autre a dit avoir été violée par 15 soldats. L’horreur n’a pris fin que lorsque l’ambassade américaine a contacté le gouvernement, qui a déployé une force de réaction rapide sur les lieux. (...)
Susan Rice. Mme Rice était ambassadrice des Nations Unies lorsque le Soudan du Sud a obtenu son indépendance en 2011. Elle est demeurée proche de nombreuses élites du pays. L’une des principales inquiétudes des Américains est qu’un embargo sur les armes empêche le gouvernement de se défendre contre les rebelles, qui, eux, pourraient continuer de recevoir des armes de l’étranger, notamment du Soudan. Mais après les violences perpétrées à Juba, même les plus proches alliés de Washington n’adhèrent plus à cet argument.
« Aujourd’hui, nous avions aussi la possibilité de mettre un terme aux violences en appliquant un embargo immédiat sur les armes au Soudan du Sud », a dit l’ambassadeur adjoint britannique Peter Wilson. « Nous avons échoué sur ce sujet. » Cette résolution, a dit le représentant de la France, « aurait dû aller au bout de sa logique en imposant un embargo sur les armes. »
Un responsable du maintien de la paix a même été encore plus explicite : « Grâce à l’absence d’embargo sur les armes, la puissance de feu de l’Armée populaire de libération du Soudan est écrasante en ce qu’elle est bien supérieure à celle de la mission », a-t-il dit sous couvert d’anonymat. (...)
La MINUSS affirme que les barrages routiers du gouvernement ou la simple déclaration d’insécurité d’un secteur par Juba l’empêchent régulièrement de patrouiller. Lors de l’attaque de Malakal, les agents de maintien de la paix ont inexplicablement demandé une « autorisation écrite » avant d’engager le combat contre les forces qui attaquaient un camp accueillant quelque 40 000 déplacés. (...)
« La force de protection n’est pas une vraie solution au problème de fond », a dit M. Williams. « Une force militaire ne faisant pas partie d’une stratégie viable pour résoudre le conflit et pour avancer vers une paix durable ne peut qu’atténuer les pires symptômes de l’élite politique toxique du Soudan du Sud. »
Cinq ans après l’indépendance du Soudan du Sud, les résultats ne sont pas à la hauteur des espoirs initiaux. Les indicateurs du développement sont en baisse, la crise humanitaire s’accentue de manière exponentielle et la classe politique, gangrenée par la corruption, ne s’est pas montrée très encline à mettre un terme aux divisions qui ont replongé le pays dans la guerre.