
La troisième ville du Yémen est privée d’eau courante et d’électricité depuis bientôt deux ans. Durement éprouvée par les bombardements incessants et les combats de rue, Taïz entre dans sa troisième année de conflit. Alors que les violences, qui semblent sans fin, continuent, les populations civiles doivent livrer un combat quotidien contre une menace plus grande encore : la famine.
(...) Taïz et le théâtre de combats parmi les plus violents et les plus soutenus de ce pays ravagé par la guerre. La survie quotidienne est devenue extrêmement difficile pour ses habitants, et ce, pour plusieurs raisons : un accès limité à la nourriture et aux soins de santé, en raison des sièges imposés localement ; une envolée des prix des denrées alimentaires et de l’eau ; et une dépendance accrue à l’égard des salaires de fonctionnaires qui, paradoxalement, ne sont plus payés. (...)
Taïz est l’un des deux gouvernorats (sur 22) qui affichent déjà des niveaux alarmants d’insécurité alimentaire. Mais la semaine dernière, les Nations Unies ont annoncé que le pays entier était menacé par un risque crédible de famine au cours des six prochains mois.
Cette crise, causée dans une large mesure par l’homme, est la conséquence de plusieurs années de guerre. (...)
Les habitants du village d’Uniquba, qui n’ont plus les moyens de payer la livraison d’eau par camion — les prix ont triplé depuis la prise de contrôle de la ville de Taïz par les Houthis et les forces de M. Saleh en 2016 — ont mis en place un système de rotation pour l’accès des familles à la source d’eau qui s’assèche. Trois foyers disposent de six heures pour remplir leurs bidons en plastique jaune, avant de céder la place à trois autres foyers.
À cette période de l’année où la nappe phréatique atteint son niveau le plus bas, il faut entre deux et trois heures pour remplir un bidon de 20 litres. Toute la nuit, les familles se succèdent, les femmes et les enfants restant assis sous les arbres proches de la source 24 heures sur 24 pour récupérer les précieuses gouttes d’eau.
Les villageois, qui ne sont pas en mesure d’irriguer leurs champs en terrasse, ont vu leurs moyens de subsistance disparaître. Le village tout entier attend l’arrivée des pluies de printemps pour mettre en terre des plantes dont les fruits ne pourront être récoltés avant le mois d’octobre.
En attendant, bon nombre de villageois ne font qu’un repas par jour. Ils dépendent des revenus des membres de leur famille élargie installés dans des villes éloignées, où des manifestations sont régulièrement organisées pour réclamer le versement des salaires impayés.
Manifestations et paralysie de la Banque centrale (...)
Aux difficultés économiques rencontrées par les habitants d’Uniquba, du gouvernorat de Taïz et plus généralement du pays, s’ajoute le transfert du siège de la Banque centrale du Yémen (BCY) à Aden en septembre dernier. (...)
Les soins de santé représentent aussi un luxe inabordable pour les populations rurales. Personne n’a les moyens de payer les 5 000 riyals yéménites (soit environ 15 dollars) que coûte le trajet en taxi par un sentier de montagne pour rejoindre la route goudronnée située à quelques kilomètres de là. Cela veut dire que les milliers de familles qui vivent dans les villages de montagne isolés, loin des zones d’intervention des agences d’aide humanitaire, ne peuvent accéder aux soins de santé.
Outre les difficultés quotidiennes, Uniquba a vu sa population augmenter à cause du conflit. Les pères et les fils qui travaillaient dans les villes sont rentrés au village suite à l’escalade de la violence qui a poussé les entreprises à mettre la clé sous la porte, condamnant leurs employés au chômage. Le village est aussi devenu un lieu de refuge pour les déplacés des zones plus proches des lignes de front. (...)
Les chauffeurs des camions de marchandises qui tentent d’acheminer leur cargaison jusqu’aux habitants des quartiers sud de Taïz sont contraints d’emprunter une longue portion du lit d’une rivière asséchée — un chemin qui ne sera plus praticable en avril, à la saison des pluies.
Dans cette enclave, même les quartiers « libérés » des rebelles houthis restent étrangement calmes ; des messages laissés sur les portes des maisons et les murs révèlent la présence de pièges et de mines. Trop apeurés pour rentrer chez eux, les villageois ont abandonné leur maison, hantés par les histoires des personnes rentrées chez elles et soufflées par une explosion en ouvrant la porte de leur logement, et dont les corps ont été retrouvés plusieurs jours plus tard.
Plus près des lignes de front, les rues étroites sont traversées de bâches — pour obstruer la vue des tireurs Houthis — et des pancartes préviennent les passants courageux de la présence de tireurs embusqués guettant leur prochaine victime. Les enfants qui vont chercher de l’eau, les hommes qui transportent des courses — personne n’est à l’abri des prédateurs cachés dans des bâtiments situés à quelques mètres. (...)
Comme dans le reste du pays, le système de santé s’est effondré.
L’hôpital yéméno-suédois soutenu par Médecins sans Frontières était autrefois le plus grand établissement de santé pour enfants de Taïz. Mais il a été dégradé par les rebelles Houthis et les forces de M. Saleh qui s’y sont installés au début du conflit. Alors que la famine menace la région, Taïz a perdu une unité de soins intensifs pédiatriques et un centre de nutrition qui offraient des soins vitaux, car deux étages ont dû être abandonnés, en raison de dégâts importants. Le centre d’alimentation de l’hôpital, qui accueille les enfants souffrant de malnutrition, ne dispose plus que de six lits entassés dans une petite salle au rez-de-chaussée. (...)