Une enquête exclusive de The Grayzone révèle de nouveaux détails sur le rôle clé joué par (le milliardaire) Sheldon Adelson à Las Vegas dans une opération d’espionnage de la CIA visant Julian Assange.
"J’étais le directeur de la CIA. On a menti, on a triché, on a volé." - Mike Pompeo, College Station, TX, 15 avril 2019
En tant que co-fondateur d’une petite société de conseil en sécurité appelée UC Global, David Morales a passé des années à sillonner les ligues mineures du monde des mercenaires privés. Ancien officier des forces spéciales espagnoles, Morales aspirait à devenir le prochain Erik Prince, le fondateur de Blackwater qui a su mettre son armée à contribution pour établir des relations politiques de haut niveau à travers le monde. Mais en 2016, il n’avait obtenu qu’un seul contrat important, celui de garder les enfants du président équatorien de l’époque, Rafael Correa, et de l’ambassade de son pays au Royaume-Uni.
Le contrat de l’ambassade de Londres s’est toutefois révélé particulièrement précieux pour M. Morales. A l’intérieur du complexe diplomatique, ses hommes gardaient le fondateur de Wikileaks, Julian Assange, une cible de choix du gouvernement américain qui vivait dans le bâtiment depuis que Correa lui avait accordé l’asile en 2012.
Il n’a pas fallu longtemps à Morales pour réaliser qu’il avait une occasion en or. (...)
Malheureusement pour Morales, le consultant espagnol en sécurité chargé de diriger l’opération d’espionnage, ce qui s’est passé à Vegas a fini par sortir. [référence à un dicton américain "Ce qui se passe à Las Vegas, ne sort pas de las Vegas" - NdT]
Après l’emprisonnement d’Assange, plusieurs anciens employés mécontents ont finalement contacté l’équipe juridique d’Assange pour les informer de la mauvaise conduite et des activités sans doute illégales auxquelles ils avaient participé à UC Global. Un ancien partenaire commercial a déclaré qu’ils se sont manifestés après avoir réalisé que "David Morales a décidé de vendre toutes les informations à l’ennemi, les États-Unis". Une plainte pénale a été déposée devant un tribunal espagnol et une opération secrète qui a abouti à l’arrestation de Morales a été mise en route par le juge.
Morales a été accusé par un tribunal espagnol en octobre 2019 de violation de la vie privée d’Assange, d’abus des privilèges avocat-client de l’éditeur, ainsi que de blanchiment d’argent et de corruption. Les documents révélés au tribunal, qui étaient principalement des sauvegardes des ordinateurs de l’entreprise, ont révélé la réalité inquiétante de ses activités du "côté obscur".
Obtenus par des médias comme The Grayzone, les dossiers d’UC Global détaillent une opération de surveillance américaine élaborée et apparemment illégale dans laquelle la société de sécurité a espionné Assange, son équipe juridique, ses amis américains, des journalistes américains et un membre du Congrès américain qui aurait été envoyé à l’ambassade équatorienne par le président Donald Trump. Même les diplomates équatoriens que UC Global avait été engagé pour protéger ont été ciblés par le réseau d’espionnage.
L’enquête en cours a détaillé des opérations au noir allant de l’espionnage des conversations privées du fondateur de Wikileaks à la récupération d’une couche dans une poubelle de l’ambassade afin de déterminer si les excréments qu’elle contenait appartenaient à son fils. Selon les déclarations de témoins obtenues par The Grayzone, quelques semaines après que Morales ait proposé d’entrer par effraction dans le bureau de l’avocat principal d’Assange, le bureau a été cambriolé. Les témoins ont également détaillé une proposition d’enlèvement ou d’empoisonnement d’Assange. Une descente de police au domicile de Morales a permis de récupérer deux armes de poing dont les numéros de série avait été effacés, ainsi que des liasses d’argent.
Une source proche de l’enquête a déclaré à The Grayzone qu’un fonctionnaire équatorien avait été volé sous la menace d’une arme alors qu’il était porteur d’informations privées concernant un plan visant à obtenir l’immunité diplomatique pour Assange.
Tout au long de la campagne d’opérations au noir, les services de renseignement américains semblent avoir travaillé par l’intermédiaire de la société Las Vegas Sands d’Adelson, qui avait déjà servi de couverture à une opération de chantage de la CIA quelques années auparavant. Les opérations ont officiellement débuté lorsque le candidat à la présidence d’Adelson, Donald Trump, est entré à la Maison Blanche en janvier 2017. (...)
Dans sa couverture de la relation présumée entre la CIA, UC Global et Adelson, le New York Times a déclaré qu’il n’était "pas clair si ce sont les Américains qui ont été à l’origine de l’écoute de l’ambassade". Bien qu’il ait décrit le travail d’un "client américain" dans des e-mails de la société, Morales a insisté devant un juge espagnol sur le fait que l’espionnage qu’il a mené à l’ambassade a été effectué entièrement au nom des services de sécurité équatoriens du SENAIN. Il a même affirmé à CNN Español qu’il cherchait simplement à motiver ses employés lorsqu’il s’est vanté de "jouer en première division" au retour de son voyage fatidique à Las Vegas.
Cette enquête permettra d’établir le rôle du gouvernement américain dans l’orientation de la campagne d’espionnage d’UC Global, de jeter un nouvel éclairage sur la relation apparente entre la CIA et Adelson, et de révéler comment UC Global a trompé le gouvernement équatorien au nom du client que Morales appelait les "amis américains". Grâce aux nouvelles révélations de la cour, The Grayzone est également en mesure de révéler l’identité du personnel de sécurité de Sands qui a vraisemblablement assuré la liaison entre Morales, la société d’Adelson et les services de renseignement américains (...)
Lorsque le candidat favori d’Adelson, Donald Trump, est entré dans le Bureau ovale, la CIA est passée sous le contrôle de Mike Pompeo, un autre allié d’Adelson qui semblait apprécier la possibilité de mener des actions illégales, notamment l’espionnage de citoyens américains, au nom de la sécurité nationale. (...)
Deux anciens employés de UC Global et l’ancien partenaire commercial ont déclaré que M. Morales avait commencé à mettre en place une opération d’espionnage sophistiquée à l’ambassade de Londres en juin 2017. Son témoignage a été corroboré par les courriels que Morales a envoyés aux employés qui ont supervisé la surveillance.
Avant cela, les caméras à l’intérieur et autour de l’ambassade de l’Equateur à Londres étaient des unités CCTV standard. Leur seule fonction était de détecter les intrus. Mais surtout, elles n’enregistraient pas le son.
Pour transformer les caméras d’instruments de sécurité en armes d’intrusion, Morales a envoyé un e-mail à un ami, "Carlos C.D. (espion)", qui possédait une société d’équipement de surveillance appelée Espiamos, ou "Nous Espions". Il a informé Carlos que "notre client" avait demandé que de nouvelles caméras soient placées dans l’ambassade, équipées de microphones indétectables.
Le 27 du même mois, Morales a écrit au même employé : "le client veut avoir le contrôle des caméras en streaming, ce contrôle devra être effectué depuis deux endroits différents." Il a demandé un serveur de stockage séparé qui pourrait être exploité "depuis l’enceinte où se trouve l’enregistreur".
En modifiant les caméras pour qu’elles puissent être contrôlées de l’extérieur, et en les équipant de micros cachés, Morales a mis en place le mécanisme permettant d’espionner les conversations intimes d’Assange avec ses amis et ses avocats. Il a également pris des mesures pour transmettre les images à un serveur de stockage extérieur séparé, gardant ainsi l’opération cachée du SENAIN équatorien. Ses ordres de marche provenaient d’une organisation qu’il décrivait simplement comme "le client américain".
Tous les 15 jours environ, Morales envoyait un des employés à l’ambassade pour recueillir les enregistrements DVR des images de surveillance et les apporter au siège de la société à Jerez, en Espagne. Certains clips importants étaient téléchargés sur un serveur appelé "Operation Hotel", qui a ensuite été transformé en un système basé sur un site web. Lorsque la taille du fichier vidéo était trop importante pour être téléchargée, M. Morales le remettait personnellement à son "client" aux États-Unis. (...)
"Julian était extrêmement inquiet. Il a dit que les gardes travaillaient pour les services secrets", s’est rappelé son avocat, Martinez. "Je lui ai dit qu’ils étaient juste des gars de la classe ouvrière du sud de l’Espagne, d’où je viens. Mais maintenant je me rends compte qu’il avait totalement raison." (...)