
Pour prendre en compte les réactions de leurs lecteurs, spectateurs et auditeurs, nombre de médias mettent en place divers canaux d’expression, parmi lesquels « le médiateur ». Comme son nom l’indique, celui-ci est censé recueillir en toute impartialité les réactions et critiques du public, solliciter les explications des journalistes et in fine instaurer un (semblant de) dialogue avec les rédactions.
Sur les antennes de Radio France, on compte ainsi pas moins de trois « Rendez-vous » avec le médiateur, Bruno Denaes, qui intervient chaque semaine sur France Info, tous les 15 jours sur France Culture, et une fois par mois sur France Inter. Un médiateur qui semble donc particulièrement sollicité – ce qui se conçoit aisément sur le service public –, mais qui semble parfois avoir une curieuse conception de sa mission.
À de multiples reprises ces derniers mois, et sur les sujets les plus divers (compteurs électriques Linky, mobilisations contre la loi travail, terrorisme, Brexit), Bruno Denaes s’est livré à une critique en règle des auditeurs eux-mêmes, évacuant de ce fait toute critique à l’égard du travail des journalistes (...)
Après avoir sélectionné et mis en exergue les critiques outrancières de quelques auditeurs, les journalistes, encouragées sur cette voie par le médiateur, ramènent celles des autres à des peurs irrationnelles ou à du complotisme. Ce sont d’abord les réseaux sociaux, et singulièrement Youtube, qui sont mis en cause (...)
Quoi que l’on pense de la cause et des arguments des opposants au compteur Linky et des protestations qu’ils ont émises à la suite des émissions de France Inter, on peut se demander si c’est bien le rôle d’un médiateur, qui devrait être un facilitateur de dialogue, d’exposer de la sorte ses parti-pris en faveur du travail de ses collègues, et surtout de disqualifier en bloc et par tous les moyens, voire de tourner en ridicule les auditeurs qui s’adressent à lui.
Une manière de procéder d’autant plus contestable que Bruno Denaes semble coutumier du fait, puisqu’il récidive dès lors que les interpellations se font un peu trop critiques à son goût. (...)
Dans ces émissions, la mise de côté et le dénigrement de la critique des auditeurs est toujours solidaire d’une idéalisation du travail journalistique qui fait de toute critique, fut-elle constructive, une attaque contre la profession elle-même. Une idéalisation qui veut que les journalistes, parce qu’ils ne font que « relate[r] des faits ou les explique[r] », fassent preuve d’une relative objectivité ou impartialité. Pointer des biais dans le traitement de l’information est dès lors insupportable ou inaudible en ce que cela risque de mettre au jour l’écart (souvent béant) entre cette mythologie qui est aussi une idéologie professionnelle et la réalité du travail de journaliste, mais aussi et surtout, les véritables causes de cet écart.
Finalement, cette attitude du médiateur face aux interpellations des auditeurs rejoint le constat fait à de maintes occasions par Acrimed : la critique des médias n’est tolérée dans les médias dominants – Bruno Duvic ne reconnaît-il pas qu’« il est toujours bon d’avoir un regard critique sur son travail quand on est journaliste » ? –, que lorsqu’elle provient de l’intérieur du système médiatique, c’est-à-dire lorsqu’elle est, par définition, préalablement contrôlée et neutralisée. Et peut-être est-ce là le véritable rôle du médiateur ?