
De nombreux mineurs vietnamiens se sont évaporés, ces dernières années, après leur arrivée à l’aéroport francilien. Débarqués sans famille, l’aide sociale à l’enfance était chargée de les mettre à l’abri. Mais au nez et à la barbe des autorités, ils ont été pris en main par les trafiquants qui les attendaient. Nos révélations, en partenariat avec le collectif Investigative Europe.
Le scénario semble toujours le même. L’enfant vietnamien atterrit à l’aéroport de Roissy accompagné d’un adulte qui se présente comme l’un de ses parents. Une fois les contrôles d’identité passés, ce dernier lui prend ses papiers et l’abandonne dans l’enceinte de l’aéroport. Le petit, qui ne parle pas le français, peut patienter des jours assis sur un siège sans que personne se rende compte de sa présence, parfois jusqu’à s’évanouir de faim. Quand enfin il est remis à la police aux frontières (PAF), il réclame l’asile politique, visiblement les seuls mots qu’on lui a appris à prononcer. (...)
Comme la procédure l’exige – pour toutes les personnes qui se présentent dans les aéroports, les ports et les gares internationales sans titre de séjour –, il est enfermé en « zone d’attente ». Si la justice l’autorise à entrer sur le territoire, le mineur est théoriquement pris en charge par un éducateur de l’Aide sociale à l’enfance (ASE, service du département chargé de protéger les mineurs en danger), censé le conduire en foyer d’urgence, en famille d’accueil ou à l’hôtel. Théoriquement. Car, comme l’a découvert Investigate Europe, à Roissy, personne ne semble venir chercher les enfants libérés. Une prise en charge défaillante qui fait les beaux jours des trafiquants.
« C’est effectivement à nous d’aller les chercher à Roissy, mais nous n’y allons pas, confirme Dominique*, employé de l’ASE de Seine-Saint-Denis, qui a accepté de nous répondre sous le couvert de l’anonymat. Nous sommes saisis par le juge par mail et/ou appelés par la PAF, mais comme nous n’avons plus de standardiste, il n’y a personne pour décrocher » – une assertion que nous avons pu vérifier en tentant d’appeler ce standard fantôme, plusieurs jours durant. « Nous avons chacun entre 100 et 150 dossiers de mineurs étrangers non accompagnés [MNA dans le jargon administratif – ndlr], justifie Sophie*, sa collègue. Il y a seulement 10 éducateurs pour 20 postes ouverts, nous avons fait grève deux fois cette année, tellement la situation est critique… Nous n’avons pas le temps de sortir pour emmener les jeunes à leur rendez-vous à la préfecture, alors aller à Roissy… Impossible. » (...)
La PAF les amène ici dans nos bureaux ou directement à l’hôtel, le problème c’est que quand ils les déposent à l’hôtel, on n’est pas forcément au courant qu’ils sont là », répondent gênés les deux agents de l’ASE. La police aux frontières donc, qui n’est pas habilitée « pour des questions d’assurance » à conduire les enfants, pas plus qu’elle n’a le droit de les garder après l’heure de libération fixée par le juge…
Aux yeux de l’Anafé (association qui défend les droits des étrangers aux frontières), il s’agirait de « détention arbitraire ». Et « que se passerait-il s’il y avait un accident de la circulation ? Ou si n’importe quoi arrivait au mineur sur la route ? », demande l’association.
Interrogée sur cette prise en charge irrégulière, la préfecture de Seine-Saint-Denis nous a renvoyés vers la préfecture de police, qui nous a elle-même renvoyés vers le ministère de l’intérieur, qui nous a renvoyés vers le parquet de Bobigny.
Surtout, cette prise en charge défaillante à la sortie de la zone d’attente de Roissy peut avoir des conséquences dramatiques pour la sécurité des mineurs isolés. Notamment pour les enfants vietnamiens qui semblent systématiquement disparaître quelques heures ou quelques jours après leur arrivée sur le sol français. (...)
Europol explique aussi que les survivant·e·s de ce trafic, enlevé·e·s ou acheté·e·s au Vietnam, ont été briefé·e·s au préalable par les trafiquants sur la procédure à suivre (les déclarations qu’elles devaient faire à la PAF pour demander l’asile, qui elles devaient contacter une fois sur place, le point de rendez-vous après avoir fugué des foyers, etc.). Les experts révèlent aussi que les enfants travaillent pour rembourser la dette de leur voyage (plusieurs dizaines de milliers d’euros) : ils sont réduits en esclavage dans les fermes à cannabis, des bars à ongles, ou travaillent pour des réseaux de prostitution.
Europol n’est pas la seule à avoir publié sur le sujet. Si rien n’est encore sorti dans l’Hexagone sur les ramifications françaises de ce qui ressemble à un véritable réseau de trafic paneuropéen (...)
Et en France ?
Interrogée juste avant la pandémie de Covid-19 et le confinement, la procureure de la République de Bobigny (juridiction dont dépend l’aéroport) confirmait à Mediapart que les mineurs vietnamiens « arrivant par Roissy fuguaient systématiquement de leur lieu de placement dans les premières 48 heures après leur sortie de zone d’attente », « vraisemblablement récupérés par des réseaux de traite et contactés par téléphone dès leur sortie de zone d’attente ». Plusieurs enquêtes seraient toutefois en cours ou bouclées, selon Fabienne Klein-Donati : le procès d’une « filière » est attendu « prochainement » (...)
Entre 2015 et 2017, au plus fort de la crise des réfugiés, le nombre d’arrivées de MNA a certes augmenté de 147 % en Seine-Saint-Denis ; au 31 décembre 2019, 1 263 enfants étrangers étaient pris en charge par l’ASE, soit 30 % de ses effectifs. Mais début 2020, d’après nos informations, des enfants vietnamiens continuaient de disparaître après leur arrivée à Roissy.