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Les enfants du monstre de Ghazipur
Article mis en ligne le 18 avril 2021
dernière modification le 17 avril 2021

Sous l’épais brouillard de pollution de New Delhi, en Inde, se cache une colline difforme. Une montagne disgracieuse dans une région pourtant plate. Quand le vent souffle et que l’horizon s’éclaircit, sa silhouette menaçante apparaît petit à petit, dévoilant sa véritable nature. Ce monstre est fait de déchets et de détritus, amassés sur plus de 70 mètres de haut. En son sommet, de minuscules ombres s’activent du matin au soir : les enfants du monstre de Ghazipur.

La décharge de Ghazipur est visible à des kilomètres à la ronde. Située en banlieue de New Delhi, elle a été mise en service en 1984 pour accueillir les ordures de la capitale indienne et ses 20 millions d’habitants. Le site a dépassé sa capacité il y a près de deux décennies et sa taille n’a cessé d’augmenter depuis. Aujourd’hui, la montagne de déchets a dépassé la hauteur du Taj Mahal. (...)

Le sol s’enfonce légèrement sous chaque pas. Des rapaces par milliers rôdent au-dessus de la décharge. Chaque jour, 2.000 tonnes de poubelles y sont déchargées. Les camions pleins à craquer se succèdent, déversent leur cargaison avant que d’imposants tracteurs passent derrière pour retourner, déplacer et aplatir les déchets. De grandes vagues de détritus se forment ainsi avant de s’écrouler avec fracas. (...)

Après le passage du tracteur vient le tour des chiffonniers. Dès 5 heures du matin, ils sont des centaines à escalader la montagne pour venir ici, au sommet du monstre, ramasser les déchets afin de les revendre. Parmi eux, de nombreux enfants, parfois en dessous de la dizaine d’années.

Filles comme garçons, ces enfants fixent à longueur de journée le sol, à la recherche de plastiques, d’emballages recyclables et de métal. Tout ce qui peut se revendre quelques roupies. Pour dix heures de travail par jour environ, ils peuvent ainsi récupérer l’équivalent de 3 euros, qui serviront à faire vivre leurs familles. Sur le sol, il y a parfois du verre et des métaux tranchants. Avec leurs sandales, les coupures sont fréquentes, explique l’un des jeunes chiffonniers. (...)

Aucun coin d’ombre ne permet de s’abriter du soleil et la chaleur intensifie les odeurs nauséabondes qui émanent de la décharge. (...)

Une fois les déchets bien empaquetés, c’est au tour des grandes personnes de prendre le relais. (...)

À l’horizon, la ville. Un lieu lointain pour les chiffonniers, cantonnés à vivre dans les bidonvilles, au pied de la décharge qui les nourrit. Comme une tache d’huile, cette dernière ne cesse de se répandre et couvre aujourd’hui une aire large comme plus de quarante terrains de football. Vivre en contrebas du monstre n’est pas sans conséquences : les maladies sont fréquentes et les particules fines qui proviennent de la décharge font des ravages sur plus de 5 kilomètres. (...)

Lors des pauses, l’enfance reprend rapidement le dessus. Les jeunes garçons se taquinent, se chamaillent, avant de se réconcilier. Puis se bagarrent à nouveau. Grandir en contrebas de la décharge est un véritable fléau pour eux. L’air nocif ne permet pas à leur cerveau de se développer normalement, le rendant plus petit que la moyenne. Ils seront également exposés à de nombreuses maladies neurologiques au cours de leur vie. (...)

Les parents n’ont d’autre choix que de venir ici, avec leur famille. Seul le travail à la décharge peut les nourrir. Depuis quelques années pourtant, la revente des matériaux recyclables n’est plus aussi lucrative. Leur maigre revenu rétrécit et pourrait bientôt ne plus suffire. Aucune alternative ne leur est pour autant proposée par les autorités. (...)

En 2017, une partie de la décharge s’est écroulée, emportant avec elle la vie de deux chiffonniers. Après l’accident, la décharge a été fermée. Pourtant, quelques jours plus tard, les camions se succédaient de nouveau au sommet de la montagne, poussés par l’inexorable développement du pays. Rien ne semble pouvoir empêcher le monstre de s’accroître.