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Les femmes lesbiennes et bisexuelles sont davantage victimes de violences sexuelles
Article mis en ligne le 18 mai 2021
dernière modification le 17 mai 2021

Au cours de leur vie, les femmes lesbiennes et bisexuelles sont beaucoup plus exposées aux violences sexuelles que les hétérosexuelles. Elles subissent à la fois le sexisme et la lesbophobie de leurs agresseurs.

lles font partie des voix qui ont contribué à faire émerger un #MeToo français. L’actrice Adèle Haenel et la chanteuse Pomme ont toutes les deux dénoncé les agissements d’hommes. Et toutes les deux s’identifient comme lesbiennes. Une coïncidence loin d’être anodine. « Les femmes qui ont eu des rapports homosexuels sont plus souvent victimes d’agressions sexuelles, quel que soit le type d’agression et quel que soit leur âge lors des agressions, pointaient en 2013 la sociologue Brigitte Lhomond et l’épidémiologiste Marie-Josèphe Saurel-Cubizolles, à partir de l’enquête « Contexte de la sexualité en France ». Au cours de leur vie, 52 % d’entre elles déclarent avoir subi des agressions sexuelles au lieu de 19 % de celles qui n’ont eu que des rapports hétérosexuels. »

Plus récemment, la dernière enquête « Violences et rapports de genre » (« Virage ») de l’Institut national d’études démographiques (Ined) consacrait un chapitre aux personnes LGBT : selon cette étude, les femmes bisexuelles et homosexuelles sont quatre à cinq fois plus nombreuses que les hétérosexuelles à déclarer des violences sexuelles subies dans leur famille.

En avril 2020, une étude du Défenseur des droits mettait également en avant une nette surexposition des femmes lesbiennes et bisexuelles à ce type de violences. (...)

Déjà surreprésentées parmi les victimes, les lesbiennes et bisexuelles pourraient en réalité l’être encore davantage. La peur de nourrir un stéréotype, selon lequel les abus subis dans l’enfance auraient déterminé leur sexualité, pourrait en amener beaucoup parmi elles, tout comme parmi les hommes gays, à s’autocensurer. Et ce bien qu’il n’existe pas à ce jour de travaux permettant d’établir un tel lien de causalité. (...)

Un rappel à l’ordre hétéronormatif

Le tabou persistant qui entoure ces questions peut expliquer en partie pourquoi les violences faites aux femmes font encore peu l’objet de travaux en rapport avec l’orientation sexuelle. Ceux qui existent pointent plusieurs explications à cette surexposition des lesbiennes et des bisexuelles.

« Au-delà du genre, il semble que l’identification sexuelle soit liée à des formes de violences spécifiques, qui portent plus précisément sur le corps des femmes », expliquent Tania Lejbowicz et Mathieu Trachman, coauteurs du chapitre consacré aux personnes LGBT dans l’enquête « Virage ».

Là où, dans un couple hétérosexuel, le huis clos conjugal peut devenir « le dernier bastion de résistance masculine à l’autonomie féminine », le corps des lesbiennes peut représenter pour les hommes le dernier bastion insensible à leur domination, et qu’il faut dès lors conquérir, ramener « dans le droit chemin », à tout prix et par tous les moyens.

« C’était évident que c’était une expédition punitive », confie Anne Tonglet au micro de Clémence Allezard dans la série documentaire « Violé.es : une histoire de dominations » sur France Culture. En 1974, Araceli Castellano et elle ont été violées et battues pendant cinq heures dans une calanque de Marseille. À la radio belge RTBF, Anne Tonglet raconte : « On disait de nous que nous n’étions pas des oies blanches. Nous étions lesbiennes, en plus de ça, et naturistes ! »

Se réapproprier des corps interdits

Tout autant objet de haine que de fantasmes, le corps des femmes lesbiennes souffre également de son hypersexualisation. (...)

Même si la situation a évolué, les femmes lesbiennes et bisexuelles en subissent toujours les conséquences. « Le fantasme masculin véhiculé par le porno joue un rôle très important. Une femme seule est déjà sexualisée, alors deux femmes ensemble sont hypersexualisées », rapporte Lucile Jomat, présidente de l’association SOS Homophobie.

« On a par ailleurs cette image que leur sexualité est inexistante, qu’elles ne font que des “préliminaires”, terme qui ne veut rien dire. (...)

« Les hommes vont avoir le besoin de se réapproprier leurs corps, car ils ne supportent pas que ces corps leur soient interdits. »

« En outre, la non-reconnaissance du lesbianisme comme sexualité à part entière engendre le fait que son affirmation peut être interprétée comme un signe de disponibilité, ou une attitude outrancière qu’il s’agit de contenir, analysait la sociologue Natacha Chetcuti-Osorovitz, dans une enquête de SOS homophobie sur la lesbophobie. Une indifférence, un refus, une rebuffade face à une proposition masculine vécue comme “licite” peuvent apparaître comme la rupture tacite d’un contrat hétérosexuel. » (...)

Dans le cadre du #MeTooGay, les hommes qui se sont exprimés ont dénoncé exclusivement des violences sexuelles commises par d’autres hommes, souvent plus âgés. On constate que les auteurs de viol ou d’agression sexuelle ne diffèrent pas selon le genre des victimes. « Les violences sexuelles que les lesbiennes et bisexuelles rapportent dans les enquêtes statistiques sont surtout exercées par des hommes, souligne Tania Lejbowicz. Pour un certain nombre, ce sont des violences intrafamiliales subies jeunes et exercées par des hommes de la parenté. »

Ce constat, largement documenté, ne signifie pas qu’il n’y a pas de violences commises par des femmes sur d’autres femmes. Les sources manquent mais les violences conjugales existeraient autant dans les couples lesbiens que dans les couples hétérosexuels. La sociologue Vanessa Watremez, l’une des rares à s’y être intéressée en France, avait recensé en 2012 des données à ce sujet.

Elle observait alors que « les taux de prévalence dans les relations lesbiennes seraient sensiblement les mêmes que dans les relations hétérosexuelles : entre 25 % et 33 % des couples ». Loin de nier ce phénomène, la chercheuse mettait toutefois en garde sur « une série de biais et d’erreurs » : « Ces études n’utilisent pas la même définition de la violence. Certaines la réduisent à la violence physique et d’autres ne font pas de différence entre les formes » de violences, notamment psychologiques, nuançait-elle.

Des réalités très hétérogènes peuvent se recouper sous le terme de violences conjugales, insiste la chercheuse Tania Lejbowicz. (...)

En 1978, les violeurs d’Anne Tonglet et d’Araceli Castellano ont été condamnés à six ans de prison pour l’un et quatre ans pour les deux autres, au terme d’un procès historique mené par leur avocate, Gisèle Halimi, qui débouchera sur une redéfinition légale du viol. « Bien sûr, ce combat doit autant aux femmes hétérosexuelles qu’aux lesbiennes. À toutes les militantes féministes, écrit à ce propos Alice Coffin, dans Le Génie lesbien. Mais il n’est en rien anodin que les femmes victimes qui ont pour la première fois trouvé le courage d’exiger, pendant quatre ans, que leurs agresseurs soient reconnus coupables de viol, aient été engagées dans une histoire d’amour lesbienne. »