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Les fermiers zimbabwéens abandonnés à leur sort
Ce reportage fait partie d’un projet spécial traitant des conséquences du changement climatique sur la sécurité alimentaire et sur les moyens de subsistance des petits paysans au Kenya, au Nigeria, au Sénégal et au Zimbabwe
Article mis en ligne le 28 avril 2017
dernière modification le 25 avril 2017

Il y a dix ans, alors qu’il travaillait comme maçon, Samuel Musengi a reçu une parcelle de neuf hectares. Dans le cadre d’une réforme foncière accélérée, des dizaines de milliers de familles zimbabwéennes noires comme la sienne ont été réinstallées sur ce qui était autrefois de vastes exploitations commerciales appartenant essentiellement à des Blancs.

Mais pour M. Musengi et nombre de ses collègues, les affaires ne vont pas particulièrement bien. En effet, vu l’imprévisibilité croissante de la météo et l’absence de soutien du gouvernement, les agriculteurs réinstallés du Zimbabwe sont loin de pouvoir exploiter le plein potentiel de leurs parcelles.

Selon M. Musengi, même les bulletins météo du gouvernement ne sont pas fiables. L’homme de 42 ans cultive du maïs et des haricots et élève quelques têtes de bétail à Wedza, à quelque 90 kilomètres au sud-est d’Harare. « La plupart du temps, ces gens [les prévisionnistes météo] se trompent lorsqu’ils essaient de prévoir l’arrivée des pluies. Il est donc difficile pour nous de préparer nos champs. Si les météorologues eux-mêmes sont incapables de prédire correctement quand il pleuvra, que peut-on attendre de simples agriculteurs comme moi ? » a dit M. Musengi à IRIN.

Or il est aussi de plus en plus difficile pour les météorologues de faire des prévisions fiables. Les chocs météorologiques extrêmes sont de plus en plus fréquents au Zimbabwe, « avec une année d’inondation consécutive à une année de sécheresse », selon une étude menée en 2015 par la Fondation Konrad-Adenauer et la Research and Advocacy Unit, basée à Harare.

En plus de prédire davantage d’inondations et de sécheresses, le rapport indique que les dates de début et de fin des saisons des pluies continueront de varier et que celles-ci seront interrompues par des périodes sèches plus fréquentes et plus longues. La répartition des pluies sur le territoire pourrait en outre devenir de plus en plus imprévisible. Ce sont là de très mauvaises nouvelles pour l’agriculture zimbabwéenne, qui est essentiellement pluviale. (...)

Des équipements endommagés

La pluie ne devrait pas être une préoccupation pour M. Musengi et les 20 autres petits agriculteurs qui vivent maintenant sur la ferme : celle-ci est en effet équipée d’un puits suffisamment profond pour fournir de l’eau pour irriguer toute l’année. Mais la pompe est cassée et ils n’ont pas l’argent nécessaire pour la remplacer.

Le partage des infrastructures est une pratique courante chez les fermiers réinstallés, mais de nombreux équipements essentiels ont été endommagés ou pillés pendant les violences et le chaos provoqués par la mise en œuvre du programme accéléré de réforme foncière du président Robert Mugabe, au début des années 2000. Depuis, la responsabilité des frais de réparation fait l’objet de disputes. (...)

nombreux sont ceux qui ont été laissés à eux-mêmes et qui n’ont eu que très peu de soutien pour faire face aux effets de plus en plus marqués du changement climatique. « Le programme accéléré de réforme foncière aurait pu contribuer à répondre aux besoins en matière de résilience et d’adaptation au climat des petits agriculteurs réinstallés, commerciaux ou autres, mais il semble malheureusement que nous ayons raté une belle occasion », a dit à IRIN Leonard Unganai, un expert du climat qui travaille pour Oxfam. « Et cela simplement parce que ce n’était pas un objectif politique explicite du programme. » (...)

Un cercle vicieux

Les fermiers réinstallés ont le droit de vivre sur leur terre et de travailler le sol, mais ils ne disposent pas de titres de propriété, même ceux qui cultivent à des fins commerciales. Toutes les terres rurales du Zimbabwe appartiennent désormais à l’État.

De nombreux agriculteurs réinstallés ont obtenu un bail de 99 ans, mais celui-ci peut être révoqué à tout moment si le gouvernement estime que la terre n’est pas utilisée de façon productive.

Ils n’ont donc « aucune sécurité d’occupation, aucune possibilité d’emprunter de l’argent en utilisant leur propriété comme garantie et aucun moyen de vendre leurs biens s’ils souhaitent aller s’installer ailleurs ou changer de domaine d’activité », a dit M. Unganai. « La sécurité d’occupation des terres est très importante pour encourager les investissements en matière d’adaptation et de développement de la résilience. Il faut espérer que le gouvernement s’attaquera rapidement à ce problème. »

D’après M. Cross, les agriculteurs qui vivent cette insécurité ne sont pas motivés à investir et à développer leurs parcelles. « Ils peuvent être expulsés de leur ferme sur un simple coup de tête du ministre, et ce, à tout moment et pour une raison quelconque — ou même sans raison », a-t-il dit. « Ils sont totalement vulnérables. »

Or les fermiers ne peuvent faire face aux sécheresses et aux inondations répétées sans des investissements appréciables. Ils n’ont pas vraiment de ressources sur lesquelles se replier pour assumer leur propre subsistance et assumer les coûts de la préparation des champs pour la prochaine saison. En résulte un cercle vicieux d’insécurité alimentaire. (...)

Des temps difficiles

Les invasions de terres et les déplacements forcés d’agriculteurs réinstallés viennent aggraver la situation. Ces incidents ont été plutôt sporadiques dernièrement, mais les luttes intestines au sein du parti au pouvoir viennent compliquer les choses. Elles sont par ailleurs devenues plus fréquentes, car Mugabe, qui a maintenant 93 ans, aura sans doute bientôt besoin d’un successeur. (...)

Où trouver de l’aide ?

Les agriculteurs zimbabwéens ont cruellement besoin de soutien. Alors que le secteur agricole représente approximativement 60 pour cent de la main-d’œuvre et 20 pour cent du PIB, il ne reçoit environ que 5 pour cent du budget national. Cela correspond à peu près à la moitié du pourcentage fixé dans le Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA), élaboré en 2003 lors d’un sommet de l’Union africaine (UA).

La stratégie nationale d’adaptation au changement climatique du gouvernement zimbabwéen indique que les effets du changement climatique « posent un risque grave pour la sécurité alimentaire et la capacité d’adaptation », mais le document mentionne à peine les besoins des agriculteurs réinstallés. (...)

Selon M. Chabikwa, le gouvernement devrait mettre sur pied une banque non commerciale offrant aux agriculteurs des prêts à des taux raisonnables. « C’était comme ça par le passé, mais les banques se sont développées et elles ne répondent plus aux besoins des petits agriculteurs réinstallés, qui sont souvent pauvres », a-t-il ajouté.

La situation semble désespérée, mais les agriculteurs eux-mêmes sont déterminés à trouver des solutions, avec ou sans l’aide du gouvernement. (...)

« [Nous devons] faire preuve d’une plus grande autonomie et créer des groupes communautaires afin de discuter des défis auxquels nous sommes confrontés et des meilleurs moyens de faire face aux saisons changeantes. Nous pourrons ensuite approcher le gouvernement et les bailleurs de fonds pour obtenir de l’aide. »